Science-Fiction

Célestopol 1922

Titre : Célestopol 1922
Auteur : Emmanuel Chastellière
Éditeur : L’homme Sans Nom
Date de publication : 2021 (mars)

Synopsis : Une année à la découverte des mirages et des merveilles de la cité sélène, joyau de l’âme slave arraché à la Terre, entre les mains d’un duc au destin défiantle cours du temps. Une année où croiser dans ses rues Marie Curie, l’archiduc François-Ferdinand ou Howard Carter, mais aussi humbles ouvriers, voleur volubile ou automates au cœur de cuivre. Entre ruines lunaires à explorer, un championnat du monde d’échecs à préparer ou des complots à déjouer… Les canaux ambrés de la ville n’ont pas fini de vous dévoiler ses secrets !

Retour dans la cité lunaire

Quatre ans après son premier recueil inaugurant la ville de Célestopol, Emmanuel Chastellière nous propose de retrouver la cité sélène une seconde fois. Nous sommes désormais en 1922, période qu’on désigne familièrement sous le nom « d’années folles » et qui vont servir de contexte à l’auteur pour treize nouvelles mêlant habilement fantasy, fantastique et science-fiction. J’avais beaucoup aimé ma découverte du premier ouvrage et dépit de quelques maladresses, mais la lecture de ce second recueil s’est révélée bien plus enthousiasmante encore. Tous les textes au sommaire sont convaincants et nous permettent de découvrir une facette méconnue de cette cité décidément fascinante. Fondée au milieu du XIXe siècle par le duc russe Nikolaï, Célestopol possède bien des particularités, la première étant bien sûr sa localisation puisqu’il s’agit de la première ville construite sur la Lune. Et quelle ville ! Le palais ducal, Saint-Basil, l’opéra Romanova, sans oublier le métro abandonné, les usines, les bordels et casino… : Emmanuel Chastellière nous entraîne dans une véritable promenade qui permettra aux lecteurs de se familiariser avec les monuments ou quartiers les plus renommés ou mal famés de la capitale lunaire. Bâtie comme un véritable musée à ciel ouvert, la cité rassemble tous les esprits les plus brillants du début du XXe, de Robert Garnier à Marie Curie en passant par Howard Carter et bien d’autres, physiciens, naturalistes, peintres… La science y occupe une place centrale, que ce soit via la présence de ces chercheurs de renom invités par le duc, ou par celle des automates, main d’œuvre invisible et silencieuse qui évoluent dans tous les milieux de la société. La ville possède également quelques technologies particulières liées à l’exploitation de gisements de selenium, substance proche de la consistance de la brume possédant des propriétés intéressantes et qui cerne la ville dont les différentes parties sont reliées par des canaux.

Promenade dans une cité d’exception

Paradoxalement, magie et mystère font aussi partis du quotidien de Célestopol, l’auteur n’hésitant pas à avoir recours à des créatures issus du folklore fantastique ou aux illusions. Fortement imprégnée de culture slave, la cité n’oublie pas ses origines, si bien que l’imaginaire de ses habitants y est fortement teinté de folklore russe (contes, bestiaire, références à des figures récurrentes comme celle de Baba Yaga…). Et la Terre, alors ? Les nouvelles s’inscrivent dans un contexte géopolitique qui ressemble globalement à celui de nos années 1920 (on comprend qu’il y a eu une Grande Guerre, par exemple, et les forces en présence semble être plus ou moins les mêmes) mais l’auteur s’amuse à distiller ici et là de petits indices laissant entendre que la construction de Célestopol n’est pas la seule entorse à notre histoire. Sont ainsi mentionnés, très rapidement, l’exécution de Lénine, qui mis un coup d’arrêt à toute velléité de révolution ; la construction de l’Opéra Garnier sur la Lune plutôt qu’à Paris ; l’essor de l’empire russe (avec à sa tête une tsarine) et le déclin complet du Royaume-Uni ; l’existence d’une Nouvelle-France et d’un Napoléon IV, ou bien celle d’une République de Californie. Rien n’est jamais vraiment explicité, ce n’est pas le propos, mais ces petites touches d’uchronie ne font que renforcer la curiosité du lecteur pour cet univers qui paraît à la fois familier et exotique. Ces références au contexte terrestre permettent également de prendre conscience que Célestopol, malgré son éloignement et son isolement, est loin d’avoir coupé tout lien avec sa planète d’origine. Certains textes trouveront d’ailleurs leur origine ou leur conclusion sur Terre, qu’il s’agisse de « Toungouska » et de « La malédiction du pharaon », dans lesquels le duc Nikolaï dépêche des envoyés pour tenter de débaucher des chercheurs renommés, ou encore dans « Katarzyna » où l’on suit la quête désespérée d’une femme pour retrouver son mari vraisemblablement mort dans un crash d’avion.

Célestopol

Quand science et magie cohabitent

Le recueil brasse ainsi quantité de références et influences, ce qui donne l’impression d’une grande diversité. Diversité des genres exploités, d’abord, puisque l’auteur ne se prive pas de mêler science-fiction et fantastique ou science-fiction et fantasy. L’aspect SF est évidemment lié à la localisation de la ville sur notre satellite mais provient aussi des automates qui, bien que n’ayant que rarement le rôle principal, sont omniprésents dans quantité de récits. Le plus marquant d’entre eux est évidemment Ajax, majordome du duc Nikolaï que l’on découvre tour à tour en parfait serviteur s’acquittant avec froideur et efficacité des missions ordonnées par son maître ou en être doué de sensibilité et capable de faire preuve de beaucoup d’empathie. C’est le cas dans « Sur la glace », nouvelle voyant l’arrivée à Célestopol d’un champion olympique russe de patinage artistique forcé de prendre une décision lourde de sens. Un très beau texte, plein de délicatesse et d’émotion. On retrouve nos automates dans « Memento Mori », où l’un d’eux constitue le seul réconfort d’une petite fille perdue entre une sœur indifférente et un père tyrannique. Là encore l’histoire est émouvante et la chute particulièrement marquante. Leur présence se fait plus discrète dans plusieurs autres nouvelles, pourtant ils jouent malgré eux un rôle essentiel au coeur de l’intrigue, qu’il s’agisse des automates d’usine utilisés pour briser des travailleurs un peu trop revendicatifs ou des fameuses prostituées du bordel haute-gamme « Chez Hécate » dont il était déjà fait mention dans le premier recueil. A ce cadre typiquement SF se mêle donc de temps à autres des influences propres au fantastique ou à la fantasy. C’est le cas dans « La malédiction du pharaon », texte qui reprend tous les codes de la nouvelle fantastique classique tout en introduisant un nouvel élément uchronique, ou encore de « Un visage dans la cendre » qui fait carrément appel à une créature emblématique de ce genre littéraire.

Des personnages variés et émouvants

On s’oriente davantage vers la fantasy avec certaines nouvelles qui font la part belle au surnaturel. Ce peut être un homme ayant trouvé un moyen de dompter la chance (« Le correcteur de fortune »), un prestidigitateur au tour impossible (« Une nuit à l’opéra de Romanova »), ou encore une jeune femme vide de tout souvenir et capable de déchaîner la tempête (« La fille de l’hiver »). La richesse de l’ouvrage vient également de la diversité avec laquelle l’auteur aborde les différents sujets traités, alternant ainsi entre le récit intimiste (une histoire d’amour et de manipulation dans « Mon rossignol », un deuil impossible à faire dans « Katarzyna ») ou le pur récit d’action faisant la part belle aux courses poursuites, aux combats et aux rebondissements. On retrouve cette même variété du côté des personnages qui ont des origines très diverses ce qui nous permet d’observer d’un peu plus près les différents milieux sociaux qui cohabitent dans la capitale lunaire. Ainsi, quand bien même plusieurs nouvelles sont consacrés à des personnages occupant une position sociale privilégiée (un sportif de haut niveau, des membres de la famille royale, des notables…), d’autres prennent soin de révéler des aspects moins reluisant de Célestopol en mettant en scène des ouvriers exploités, des voleurs, des artistes désargentés ou des saltimbanques marginalisés. On y trouve autant d’hommes que de femmes, des vieux aussi bien que des enfants, des automates comme des humains, ce qui permet là encore de renforcer l’impression de richesse qui se dégage de l’univers élaboré par Emmanuel Chastellière. On croise enfin un certain nombre de personnages récurrents, à commencer bien sûr par le génial et terrible duc Nikolaï, sans oublier le duo de mercenaire mi-ours, mi-humain, l’automate Ajax ou encore l’étrange et inquiétant personnel du casino flottant.

Pari réussi pour Emmanuel Chastellière qui nous offre avec « Célestopol 1922 » un très beau recueil encore plus abouti et plus riche que le précédent. Les treize nouvelles au sommaire valent le coup d’œil et permettent, chacune d’une manière différente, de mettre en lumière différents aspects de la cité sélène où science et magie font bon ménage. Une très belle découverte.

Voir aussi : Célestopol

Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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