After
Titre : After
Auteur : Aurlane Velten
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2021 (avril)
Synopsis : La Terre d’après… À l’abri d’un baobab, une société utopique, soudée par des règles strictes et bienveillantes, semble profiter d’une vie paradisiaque, totalement apaisée et égalitaire. Pourtant, l’un des membres de cette communauté ne peut s’empêcher de se poser mille et une questions, sur tout, y compris sur l’avant. Une particularité qui fait de Cami la personne idéale pour remplir une mission d’exploration – sous surveillance. C’est donc avec Paule que Cami part pour les terres renoncées, une zone inhabitée et hostile, en quête d’une mémoire oubliée. Rapidement, leurs découvertes dépassent l’entendement, et les déroutent au-delà de ce qui peut être imaginé. Ce voyage risque bien de bouleverser leur vie… et l’humanité.
…
Du post-apo philosophique
Auriane Velten fait son entrée sur la scène de l’imaginaire francophone avec « After », premier roman atypique s’interrogeant sur l’humanité et ce qui la caractérise. La jeune autrice y met en scène une Terre régénérée, bien des années après un cataclysme qui faillit mettre fin à toute vie sur notre planète. Notre vision de ce monde post-apo est toutefois extrêmement étriquée puisque l’histoire se concentre sur une seule communauté comptant relativement peu de membres et n’ayant aucun contact avec d’autres potentiels humains. D’apparence utopique, la société telle que dépeinte ici vit en harmonie totale avec la nature et ses habitants et a érigé la modestie et l’égalité au rang de vertus suprêmes. Obéissant scrupuleusement au « Dogme », credo qui rythme leur vie depuis toujours, les membres de cette curieuse tribu partagent ainsi leur temps entre des activités essentielles à leur survie et de longues phases d’introspection, exercice qui leur permet de s’assurer de vivre conformément au Dogme et à ses règles (ne pas s’estimer supérieur aux autres, respecter son environnement, ne pas chercher de gloire personnelle…). Présenté ainsi, le quotidien de ces humains post-apo ne paraît guère passionnant, et force est de reconnaître que c’est bien le cas, sans qu’aucun d’entre eux n’en paraisse aucunement troublé. Aucun sauf Cami, personnage qui sera notre principal guide tout au long du récit et qui se démarque de ses congénères par des pensées souvent en décalage avec le Dogme et une curiosité insatiable pour tout ce qui concerne l’humanité avant le cataclysme. Et cela tombe bien, car les trois membres du Conseil chargé d’administrer la communauté lui confie une mission extraordinaire qui va lui permettre d’assouvir quelque peu sa soif de connaissance : pénétrer dans les « terres renoncées » sur lesquelles s’étaient implantés les humains avant la catastrophe afin de tenter de comprendre un peu mieux qui ils étaient et les causes de leur disparition. Sans doute conscient des failles dogmatiques de leur envoyé, le Conseil lui adjoint un autre membre de la communauté, Paule, deuxième personnage phare du roman dont la tâche consiste à aider Cami tout en surveillant son comportement afin d’éviter toute entorse au code qui régit la vie de la tribu.
Quelques écueils…
Le monde post-apo tel que dépeint ici par l’autrice n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on trouve traditionnellement dans ce type de roman. L’humanité d’Auriane Velten n’a aucun souvenir du monde avant le cataclysme qui semble avoir détruit tout ce qui pouvait nous paraître familier, si bien qu’on pourrait presque être sur une planète totalement différente, voir dans un autre monde. Le voyage des deux protagonistes sur les terres renoncées nous offre malgré tout quelques points de repères qui nous permettent de comprendre que l’action se passe dans ce qui était autrefois Paris et sa périphérie, puisque Cami se base pour son exploration sur d’anciennes cartes faisant notamment mention de noms de musées. L’univers de l’autrice est donc très dépouillé, et il en va d’une certaine manière de même de l’intrigue qui, loin de privilégier l’action, repose en grande partie sur l’introspection des deux protagonistes et l’évolution de leur mentalité. Cela influe évidemment sur le rythme du récit qui se révèle parfois un peu trop monotone. Certes, les découvertes réalisées par Cami et Paule vont constituer des étapes narratives importantes, mais, si les objets découverts ont pour les personnages l’attrait de la nouveauté, ce n’est pas le cas des lecteurs qui peuvent parfois être déçus de voir l’histoire prendre autant son temps ou au contraire frustré du caractère très ordinaire des artefacts retrouvés. Il serait toutefois erroné de croire que le récit ne comporterait aucun rebondissements : ces derniers sont présents et l’un d’eux (de taille !) va complètement remettre en cause la façon dont le lecteur perçoit les personnages. La construction narrative est donc intéressante et permet de peu à peu passer outre la lenteur et le manque d’entrain apparent des personnages. Ces derniers constituent en effet un autre aspect très particulier du roman et ne facilitent pas vraiment l’implication émotionnelle du lecteur. En effet, bien qu’apparemment utopique, la société mise en scène ici repose sur un certain nombre de valeurs et de règles qui rendent très difficile l’identification aux protagonistes dont on est parfois tenté de remettre en cause l’humanité.
… mais un propos intéressant
Et c’est justement là le propos central du roman de l’autrice : qu’est ce qui fait de nous des humains ? Une simple enveloppe physique ? Une manière d’appréhender et d’habiter le monde ? Un mode de pensée ? Auriane Velten s’interroge en profondeur sur le sujet, et questionne astucieusement notre rapport au monde et aux autres, nos envies de création ou encore notre perception de l’art et du beau. Au fur et à mesure de leurs découvertes, les deux personnages vont ainsi voir leurs certitudes constamment remises en question, ce qui va enfin leur permettre de se « dégeler » un peu, et de laisser libre court à de vraies émotions. Cami, de part son hostilité incontrôlée mais manifeste au Dogme, se montre rapidement attachante mais il faut au lecteur davantage de temps pour appréhender Paule qui finit toutefois par se révéler très touchant. Reste à aborder la question de l’écriture et, là encore, l’autrice opte pour un pari audacieux puisque l’ensemble du roman est écrit en écriture inclusive. Or, si je trouve la démarche tout à fait pertinente et intéressante, il faut admettre que ce n’est pas toujours simple pour le lecteur qui aura dans un premier temps un peu de mal à lire le texte de manière fluide. En effet, si beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui assez familiers de l’emploi du pronom « iel » (ou ici « ile »), d’autres formulations peuvent parfois s’avérer plus difficiles à appréhender (je pense notamment à l’emploi du « a » comme marque du neutre, ce qui donne « chacan » au lieu de chacun/chacune ; « al » au lieu de le/la ; « man » au lieu de mon/ma…). Loin de n’être qu’une posture, le choix de ce type d’écriture fait toutefois parfaitement sens ici puisqu’il est étroitement lié à l’intrigue elle-même, si bien qu’on finit par s’y faire après un temps d’adaptation qui variera en fonction des lecteurs.
Auriane Velten signe avec « After » un premier roman très atypique qui interroge sur ce qui fait un être humain et sur notre rapport au monde. Bien qu’au premier abord difficile d’accès en raison d’une intrigue misant essentiellement sur l’introspection, un mode d’écriture déroutant et des personnages en apparence très rigides, l’ouvrage possède malgré tout de solides atouts, que ce soit en terme de construction ou de réflexion, et mérite, à ce titre, le détour.
Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Xapur (Les lectures de Xapur)
8 commentaires
yogo
Encore une chronique qui donne envie de découvrir l’autrice. Cependant j’ai un peu peur de l’écriture inclusive sur le long terme.
Boudicca
C’est sûr qu’il faut s’habituer, ça fait bizarre au début…
Tigger Lilly
Il a l’air vraiment très intéressant ce livre. Ca a l’air très spécial et le côté introspectif, pas plus que l’écriture mega inclusive ne me font peur. Donc un jour certainement ^^
Boudicca
Chouette, une téméraire 😉
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Justin Hurle
Bonjour à vous !
Je viens tout juste de le terminer. Et j’ai adoré ! Quant à la lenteur que tu dépeins plus haut, elle me rappelle à la fois « Le monde de Sophie » de Gaarder. C’est un style qui, précisément permet cette intropsection que j’aime tant. Par ailleur, le post-apo d’After m’évoque celui d’Ursula Le Guin : La Valée de l’éternet retour. Ce dernier m’a laissé un arrière goût très intense. Je pense qu’After me laissera un goût équivalent.
Merci pour cet article, en tout cas.