Fantasy

La tour du Freux

Titre : La tour du freux
Auteur : Ann Leckie
Éditeur : J’ai lu (Nouveaux Millénaires)
Date de publication : 2020 (septembre)

Synopsis : Depuis des siècles, l’Iradène est protégé par son dieu tutélaire, le Freux. Mais alors qu’un usurpateur s’est emparé du trône, que des envahisseurs soutenus par un dieu hostile se massent aux frontières, le Freux reste désespérément muet. C’est en ces temps troublés qu’Eolo, l’aide de camp de l’héritier légitime du trône, découvre un sombre secret dans les fondations même de la tour du Freux… Un secret qui pourrait bien rayer l’Iradène des cartes pour toujours.

 

Disparition, complot et trahisons

Particulièrement réputée pour son cycle de space-opera « Les chroniques du Radch » (qui a raflé, lors de la sortie du premier tome, pas mal de prix parmi les plus prestigieux), Ann Leckie se lance désormais dans la fantasy. Un premier essai en demi-teinte, puisque le roman ne manque pas d’atouts, mais pâtit également d’un certain nombre de bémols qui rendent la lecture quelque peu laborieuse. L’autrice y met en scène un univers inspiré du médiéval-fantastique tout ce qu’il y a de plus classique : tour et château, dague et épée, habillement ou mode de vie…, le cadre n’a rien de très original ce qui, déjà, pourrait rebuter un lectorat amateur d’une fantasy sortant davantage des sentiers battus. Le pitch, pourtant, est intriguant. Cela fait des années maintenant que le royaume de l’Iradène bénéficie de la protection d’un dieu, le Freux, qui, en échange d’un sacrifice humain occasionnel, protège la région d’un grand nombre de fléaux (maladie, incendie, envahisseurs…). La bonne gestion de la province est quant à elle supervisée par un conseil et un Bail, fonction qui permet à celui qui l’exerce de bénéficier d’une relation privilégiée avec la divinité… mais l’oblige à se sacrifier volontairement dès lors que l’Instrument du dieu (l’animal qui lui sert momentanément de corps matériel) en vient à mourir. Un nouvel instrument renaît alors, et un nouveau Bail monte sur le trône. Seulement cette fois, rien ne se passe comme prévu puisque, alors que Mawat, l’héritier du trône, arrive à la capitale suite à l’annonce de la mort de l’Instrument, il y trouve son oncle assis à la place qui lui revient de droit. La version officielle prétend que le père de Mawat aurait failli à son devoir et se serait enfui plutôt que de donner sa vie au dieu, ce qui n’aurait laissé d’autre choix à ce dernier que de choisir un autre Bail avant même le retour de l’héritier. Seulement pour beaucoup de monde dans la forteresse, cette version ne tient pas. Mais dans ce cas où est passé l’ancien Bail ? Quel but poursuit vraiment l’oncle de Mawat ? Que viennent faire en Iradène ces ambassadeurs d’une lointaine nation qui semblent jouer un double jeu ? Et surtout, pourquoi le dieu laisse-t-il les sacrilèges se multiplier sans donner le moindre signe de vie ?

Quand le rythme ne suit pas…

Une disparition inexpliquée, un climat de tension en huis-clos, des complots et trahisons : les bases de l’intrigue s’avéraient extrêmement prometteuses. Et le fait est que tout ce qui touche à la disparition de l’ancien Bail et au silence du Freux est effectivement captivant. L’autrice parvient à maintenir le suspens jusqu’à la toute fin du roman (qui se termine d’ailleurs de manière assez surprenante), ce qui permet de maintenir une tension permanente et de pousser le lecteur à persévérer, simplement pour voir sa curiosité assouvie. Malheureusement, le roman souffre aussi d’un paquet de longueurs qui cassent le rythme du récit et ne sont parfois pas loin d’avoir raison de la motivation du lecteur. Ainsi, alors que le début et la fin se révèlent relativement denses et posent ou répondent à un certain nombre de questions intéressantes, les deux cent pages du milieu constituent un véritable ventre-mou dans lequel l’autrice se perd en digression et discussions répétitives qui ne font pas avancer l’intrigue d’un pouce. Ce qui est d’autant plus dommage que, encore une fois, l’idée centrale du roman est bonne, et la construction narrative suffisamment réfléchie pour appâter toujours un peu plus le lecteur sans toutefois trop lui en révéler. La principale raison qui explique cet affaiblissement d’intérêt s’explique aussi et surtout par l’alternance d’époque opéré par l’autrice, ainsi que par le mode de narration adopté. Les chapitres alternent en effet entre le point de vue d’un dieu qui nous relate toute son existence (sa prise de conscience de son existence, ses premiers contacts avec les autres dieux, ses tentatives de communiquer avec les humains…) et le point de vue de ce même dieu observant Eolo, l’aide de camp de Mawat, l’héritier dépossédé. Les chapitres alternent donc entre des passages à la première personne et d’autres à la seconde, la divinité relatant les événements qui nous intéressent en s’adressant directement à Eolo. Or, si les scènes consacrés à l’affaire qui nous occupe sont intéressantes, les autres sont souvent très ennuyeuses et peu immersives.

Un mode de narration étonnant et peu approprié

On peut également reprocher à l’autrice de mettre en avant certains aspects de son univers sans vraiment les utiliser. C’est le cas du peuple des Tells, voisins de l’Iradène et qui tentent d’envahir le territoire depuis des années, mais aussi du tabou qui frappe les jumeaux, du Dieu de la Forêt des Silences, ou encore de la nature particulière du protagoniste (qui est simplement mentionnée à demi-mot mais qui, à ma grande déception, n’aura aucune importance pour l’intrigue…). L’autrice s’attarde en revanche longuement sur la manière dont le pouvoir des divinités évoquées fonctionne et celle dont ils interagissent avec les humains. Cet aspect est certainement le plus abouti du roman et donne lieu à des scènes amusantes au cours desquelles les humains en sont réduits à tenter d’interpréter les messages des dieux via des jetons à la signification pour le moins subjective. Les personnages sont pour leur part plutôt bien campés, même si le fait que l’histoire nous soit narrée par un dieu observant en surplomb les événements rend difficile la retranscription de leurs émotions et de leurs débats intérieurs. Si la plupart suscitent la sympathie, à commencer par le protagoniste, aucun ne bénéficie donc vraiment d’un traitement fouillé. La plume de l’autrice, bien que loin d’être désagréable, pâtit d’ailleurs elle aussi de certains choix narratifs, à commencer par celui de raconter une partie de l’histoire à la deuxième personne. Le narrateur se perd alors en hypothèses et suppositions sur le personnage d’Eolo, ce qui rend le récit lourd et lent (« t’es-tu demander ceci » ; « as-tu été touché par cela »… : tout n’est que conjecture). De même, la retranscription du langage approximatif de l’émissaire xulahnais est extrêmement agaçant puisqu’il donne des phrases du genre : « Le roi n’est pas nous envoyer chercher aujourd’hui. Nous sommes rester attendre. Je suis penser qu’il n’est pas nous fasse venir aujourd’hui. Assoie, ami, sois boire avec nous. » Et le pire, c’est que ce personnage a beaucoup de dialogues !

Résultat mitigé pour la première incursion d’Ann Leckie en fantasy. En dépit de certains atouts (un mystère intriguant, des retournements de situation bien amenés), « La tour du freux » peine à capter jusqu’au bout l’attention du lecteur. La faute à un style parfois assez lourd, ainsi qu’à un univers trop classique et surtout un mode de narration étrange et peu approprié qui freine l’immersion et rend presque impossible tout approfondissement de la psyché des personnages.

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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