Les abysses
Titre : Les abysses
Auteur : Rivers Solomon
Éditeur : Aux forges de Vulcain
Date de publication : 2020
Synopsis : Lors du commerce triangulaire, quand une femme tombait enceinte sur un vaisseau négrier, elle était jetée à l’eau. Mais en fait, toutes ces femmes ne sont pas mortes. Certaines ont survécu, se sont transformées en sirènes et ont oublié cette histoire traumatique. Un jour, l’une d’entre elles, Yetu, va leur rappeler.
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A la découverte des Wajinrus
Dans les années 1990, Drexciya, un groupe de musique techno américain, invente un mythe afrofuturiste relatant l’histoire d’une civilisation sous-marine. L’idée est ensuite reprise en 2017 par un autre groupe, « Clipping », dans un single baptisé « The Deep », puis en 2020 par Rivers Solomon qui s’en inspire à nouveau pour un roman. Celui-ci nous dépeint un peuple vivant sous l’océan, les Wajinrus, qui seraient nés des femmes rejetées à la mer par les esclavagistes lors de la traversée en mer des navires négriers. De ces meurtres atroces serait née une nouvelle espèce, puis une civilisation toute entière. Yetu appartient à ce peuple et occupe une place déterminante en son sein : elle est l’historienne de la communauté, celle qui garde en elle tous les souvenirs de son peuple. Car les Wajinrus ont pour particularité, outre leur aspect mi-humain mi-poisson, de pouvoir se décharger de l’essentiel de leur mémoire sur l’historienne qui, une fois par cycle, va la leur rendre momentanément, afin qu’ils se souviennent de leurs origines. Seulement Yetu n’est pas une historienne comme les autres, et les souvenirs atroces du passé, dans lesquels elle ne cesse de se perdre, la rongent peu à peu et lui font perdre son identité. Un choix impossible s’impose alors à elle : continuer à tenir son rôle, quitte à en mourir, ou trahir son peuple en lui imposant un passé traumatique dont il a toujours cherché à se protéger, quitte à le détruire ? Dans la mesure ou je ne connais aucun des deux groupes à l’origine de cet univers sous-marin, c’est avant tout le pitch qui m’a attirée vers ce roman, et notamment le lien imaginé par l’auteur entre l’esclavage et les sirènes. Pourtant, quand bien même je reconnais volontiers que le texte possède un grand nombre d’atouts, je n’ai à aucun moment été sensible à son charme (et je semble assez minoritaire sur ce coup).
Lecture mitigée
Le roman avait pourtant tout pour me plaire : un décor sous-marin évocateur et faisant la part belle à la faune océanique, une réflexion profonde sur l’histoire et la mémoire, des explications sur des détails peu connus de la traite négrière… Or, si le lien entre ces créatures marines et l’esclavage est bel et bien au cœur du récit, l’auteur ne s’attarde à aucun moment sur l’histoire de ces femmes jetées à l’eau : on sait qu’il s’agit d’esclaves, on sait que les négriers s’en débarrassent parce qu’elles sont enceintes, mais c’est à peu près tout. L’essentiel de l’histoire tourne en fait autour de Yetu et sa rébellion, or je ne suis pas parvenue à adhérer au personnage qui passe son temps à se lamenter sur sa condition et ses souffrances. Or, si celles-ci sont indéniablement terribles, les plaintes de la Wajinru deviennent rapidement lassantes, et ce pour la simple et bonne raison qu’on souhaiterait que le récit se concentre davantage sur les souvenirs en question, plutôt que sur leur effet sur la jeune fille. La sensibilité dont fait preuve l’auteur est indéniable, et je comprends sans mal pourquoi elle a séduit tant de lecteurs, seulement j’ai pour ma part eu l’impression que le récit ne cessait de tourner autour du pot sans jamais aborder frontalement le passé traumatique de ce peuple, et donc se perdait en digression. La civilisation fondée par les Wajinrus et les spécificités propres à leur culture sont quant à elle trop rapidement évoquées, ce qui ne facilite pas l’immersion et fait naître une légère frustration tant le mythe originel semblait prometteur. Enfin, le roman m’a semblé à certains moments un peu brouillon, des épisodes du passé se mêlant à ceux du présent sans vraiment de cohérence. Ces flash-backs restent malgré tout les passages qui m’ont le plus enthousiasmée, notamment ceux concernant un historien ayant précédé Yetu et dont j’aurais apprécié connaître davantage l’histoire et la personnalité.
Lecture en demi-teinte pour « Les abysses » qui, en dépit d’une mythologie fascinante et d’une connexion intéressante proposée entre esclavage et sirène, m’a laissée quelque peu sur la touche. La faute à la trop grande sensibilité du protagoniste et à une description trop évasive des éléments de ce mythe que j’aurais voulu voir aborder. De nombreux autres lecteurs ayant, eux, appréciés le voyage, je ne peux que vous encourager à aller lire leurs avis.
Autres critiques : Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Elhyandra (Le monde d’Elhyandra) ; Les Chroniques du Chroniqueur ; Le dragon galactique
7 commentaires
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Elhyandra
J’ai un peu mieux apprécié que toi visiblement, la seule chose qui m’a surprise c’est que je m’attendais à la vengeance de ce peuple et donc de l’action mais finalement c’est surtout de la réflexion, mais la thématique centrale était fort intéressante je trouve.
Boudicca
J’ai bien aimé la thématique également mais c’est vrai que je m’attendais à un autre traitement 🙂
PatiVore
Je ne sais pas si j’ai envie de le lire car je n’avais pas réellement accroché à L’incivilité des fantômes… La couverture est belle et le thème m’intéresse quand même alors je verrai s’il est à la bibliothèque 😉
PS : j’ai reçu le roman, merci beaucoup 🙂
Boudicca
Ah chouette 🙂 Je n’ai rien lu d’autre de l’auteur mais je retenterais peut-être ma chance un jour 😉
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Tigger Lilly
Arg dommage. Enfin ça arrive. J’ai beaucoup aimé l’ambivalence autour de la mémoire qui est ancrée dans le parcours de Yetu et qu’on nous raconte cette histoire simplement. Je ne connaissais déjà pas ce « détail » de la traite négrière et je trouve très intéressant comme les cultures afro-américaines se le réapproprient.