Fantasy

La Marche du Levant

Titre : La Marche du Levant
Auteur : Léafar Izen
Éditeur : Albin Michel
Date de publication : 2020 (septembre)

Synopsis : Trois cents ans. C’est le temps que met la Terre pour tourner sur elle-même. Dans le ciel du Long Jour, le soleil se traîne et accable continents et océans, plongés tantôt dans une nuit de glace, tantôt dans un jour de feu. Contraints à un nomadisme lent, les peuples du Levant épousent l’aurore, les hordes du Couchant s’accrochent au crépuscule. Récemment promue au rang de maître, l’assassine émérite Célérya accepte un enrôlement douteux dans le désert de l’est. Là, sans le vouloir, elle contribue à l’accomplissement d’une prophétie en laquelle elle n’a jamais cru. Un domino vient de tomber ; les autres suivront-ils ?

 

L’Histoire est injuste avec le bas-peuple, lorsqu’elle ne le soumet pas à ses guerres et à ses caprices. Seuls les gestes des plus grands survivent à l’effacement du temps, comme seules les plus hautes montagnes survivent à l’érosion des glaces et des déserts du Long Jour.

Une histoire et un univers intéressants…

Tout comme avec « Mage de bataille », le label imaginaire des éditions Albin Michel mise pour la rentrée 2020 sur une « fantasy » ultra classique qui devait au départ être (auto)édité en trois tomes, pour finalement être publié en un seul volume. Léafar Izen nous y dépeint une Terre futuriste qui n’a plus grand-chose à voir avec la notre (seuls les noms de lieux sont restés similaires), et pour cause, puisque la Terre met désormais trois cent ans pour tourner sur elle-même. Impossible dans ces conditions de rester sédentaire, si bien que la plupart des habitants se sont rassemblés en plusieurs groupes nomades qui n’ont toutefois pas toutes les mêmes pratiques. Ainsi, si la Marche du Levant avance de quelques pas chaque jour pour suivre l’aube, les Hordes du Couchant visent pour leur part le crépuscule, tandis que d’autres, comme les Guetteurs, préfèrent rester sur place un long moment avant de parcourir une grande distance pour distancer le soleil. D’autres, enfin, se déplacent également quotidiennement, mais cette fois par voie de mer à l’aide d’une gigantesque armada. La majorité de l’action se déroule dans la ville-convoi d’Odessa, capitale de la Marche où l’on espère depuis des années la réalisation d’une prophétie autour de laquelle s’est développé un véritable culte. Prophétie qui prédit qu’une enfant exceptionnelle naîtra, unira les Marches et conduira son peuple à l’Arche, qui s’ouvrira et apportera l’espoir. Une prophétie, un(e) élu(e), un univers médiéval (parce que oui, on est manifestement revenu au temps des épées et des arcs, avec quasiment aucune technologie) : tous les stéréotypes du roman de fantasy standard sont réunis, ce qui aurait pu malgré tout s’avérer intéressant si l’auteur s’en était servi pour les détourner. Mais non. Pourtant le roman possède plusieurs atouts non négligeables, à commencer par son décor. Il faut admettre que la vision de cette ville-convoi, dont les plus humbles cahutes et les immenses palais sont tractés jour après jour, est assez frappante, de même que celle de cette gigantesque Armada. Les intrigues politiques qui sont dépeintes sont pour leur part intéressantes et cohérentes, quant aux scènes de bataille, elles sont elles aussi bien écrites et livrent de beaux moments épiques. Enfin, il convient d’ajouter à la liste des points positifs l’épilogue qui, bien que (trop) bref et assez frustrant, invite à remettre en perspective l’ensemble de l’œuvre.

… mais trop classiques

La lecture est donc loin d’être désagréable, et se fait même parfois assez prenante. Pourtant l’ensemble de l’œuvre souffre d’un paquet de défauts qui empêchent de véritablement s’immerger dans le récit. Les premières pages sont un peu ardues (même si le premier chant est, rétrospectivement, mon préféré), et puis on se laisse progressivement entraîner par l’intrigue. Seulement l’intérêt retombe assez rapidement : trop d’ellipses, et surtout trop de clichés, à commencer par cette prophétie qui régit la vie de tous les protagonistes. Or, le problème avec les prophéties (surtout lorsque leur interprétation ne fait pas vraiment débat, comme c’est le cas ici), c’est qu’elles ôtent tout suspens. Et effectivement, même si l’auteur nous épargne le détail des Versets, on sait dès le départ où on va et qui aura un rôle important ou non, ce qui ne laisse pas franchement de place aux rebondissements. Les obstacles rencontrés par Akeyra n’en sont ainsi pas vraiment aux yeux du lecteur, puisqu’on sait déjà qu’elle va les surmonter, si bien qu’on assiste sans aucune passion aux aventures de la petite reine. Certains choix narratifs posent aussi problème, notamment le choix (judicieux) de l’auteur de placer Célérya au cœur de l’intrigue des deux premiers chants, pour ensuite l’abandonner totalement dans la dernière partie. Les nombreuses ellipses dont est constituée la dernière partie du roman sont également problématiques dans la mesure où, même si l’auteur nous précise bien que tant d’années ont passé et que les protagonistes ont vieillis, le fait est qu’on ne vieillis pas avec eux, si bien qu’on en vient à devenir totalement indifférent à leur sort. Je suis aussi dubitative concernant l’absence totale de réponses à plusieurs événements mystérieux non essentiels à l’intrigue et dont on se demande bien pourquoi ils ont été intégré à la version finale. Parmi les autres bémols, difficile de ne pas mentionner la plume de l’auteur qui, bien que pouvant être tout à fait captivante lorsqu’il est question de dépeindre les intrigues politiques ou des affrontements épiques, se fait aussi parfois très maladroite. C’est notamment le cas en ce qui concerne les dialogues qui sont écrits dans un langage bien trop soutenu pour paraître naturel (le vouvoiement entre Célérya et Oroverne est une sacrée mauvaise idée, de même que la manie d’ Oroverne de parler de lui à la troisième personne, ou encore celle du « méchant », caricatural au possible, de se gargariser sans cesse de sa propre intelligence…).

Absence d’implication émotionnelle

J’en arrive, pour terminer, au dernier aspect du roman qui m’a parue un peu bancal : les personnages. Célérya est sans commune mesure la plus attachante car la mieux caractérisée (les deux premières parties lui sont en quelque sorte consacrées), même si la jeune femme reste, elle aussi, parfaitement conforme aux clichés des romans de fantasy classique (guerrière bad-ass, membre d’une confrérie d’assassin…). J’ai également été assez agacée par la fâcheuse manie de l’auteur de s’attarder sans cesse sur l’effet qu’elle fait aux hommes. « Mortelle beauté », « beauté assassine »… : Célérya est sans arrêt caractérisée par son physique, et elle n’est d’ailleurs pas la seule puisque même les servantes (qui n’apparaissent dans l’intrigue que le temps d’entrer dans une pièce pour y servir le thé) sont systématiquement dépeintes comme sublimes ou ravissantes. J’ai un peu l’impression d’écrire ce genre de remarque pour la plupart des romans que je lis maintenant, et ça devient de plus en plus pénible : encore une fois, un personnage féminin n’a pas besoin d’être belle pour être intéressante! Franchement, une assassine partie de rien, qui a su monter en grade grâce à son seul talent et qui s’est hissée aux plus hautes sphères du pouvoir, ça suffit largement pour allécher le lecteur, par besoin d’en faire une bombe et d’insister lourdement là dessus à la moindre occasion ! Les autres personnages présentent pour leur part peu d’intérêt car tous sont trop peu caractérisés. Ils ne sont que des figurants, et si leur sort peut à certains moments émouvoir (c’est le cas d’Oroverne, par exemple), on en sait trop peu sur eux pour vraiment se sentir bouleversé. La faute, aussi, au choix de l’auteur de mettre certains personnages sur le devant de la scène dans les premières parties… pour ensuite totalement les laisser de côté dans les suivantes.

« La Marche du Levant » est un roman qui réutilise la plupart des stéréotypes de la « vieille » fantasy, sans jamais tenter de les détourner ou de se les réapproprier, ce qui aboutit à un récit certes pas inintéressant mais néanmoins peu surprenant. C’est d’autant plus dommage que l’auteur possède de bonnes idées, et que certains passages sont assez immersifs. A réserver, peut-être, à des novices qui voudrait découvrir le genre ?

Autres critiques : Anouchka (Les notes d’Anouchka) ; Apophis (Le culte d’Apophis) ; Baroona (233°C) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; L’ours inculte ; Les chroniques du Chroniqueur ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

2 commentaires

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