The Goddamned, tome 1 : Avant le Déluge
Titre : Avant le Déluge
Série : The Goddamned, tome 1
Auteur : Jason Aaron
Dessinateur: R.M. Guéra
Éditeur : Urban Comics Indies
Date de publication : 26 mai 2017
Synopsis : « La Terre était corrompue devant Dieu, la Terre était pleine de violence. » (Genèse 6 : 11) En fuyant le Jardin d’Eden, Adam et Eve découvrirent la Création : un havre de paix, parfait équilibre entre les règnes animaux et végétaux. Le meurtre originel perpétré par Caïn sur son frère Abel entraîna cependant la chute de ce Paradis terrestre. Condamné par Dieu à assister à la déchéance de l’Humanité jusqu’à la fin des temps, Caïn arpente cette Terre devenue le refuge de monstres préhistoriques, sillonnée par des hordes de maraudeurs sanguinaires. Dans cet enfer condamné au Déluge, Caïn croise la route de Noé.
Mon frère était un sale con. Nous étions les deux premiers-nés du monde, et on ne pouvait pas se blairer. Rien que ça montre à quel point on est tous tarés. Un jour, ce bâtard m’a tellement énervé que j’ai fait ce que personne n’avait jamais fait. Je l’ai tué. Et depuis, ma foi… le monde est devenu une sorte d’enfer.
Urban Comics Indies n’en finit pas d’étoffer son catalogue, nous gratifiant presque chaque mois d’une nouvelle saga. Reconnus pour leur série Scalped, Jason Aaron et R.M Guéra reforment leur duo de choc pour proposer une nouvelle histoire qui ne l’est pas moins. The Goddamned n’est en effet pas à mettre entre toutes les mains: l’écriture comme le dessin sont sans concession. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça déchire ! Au sens propre comme au sens figuré.
Le contexte dans lequel se déroule le récit de The Goddamned séduit d’emblée par son originalité. A la vue des premières planches, on pense se lancer dans une énième histoire post-apocalyptique comme elles prolifèrent aujourd’hui. C’est en réalité l’exact opposé puisque c’est un récit pré-apocalyptique auquel on s’attaque : 1600 après l’Eden, c’est à dire 1600 ans après qu’Adam et Eve aient été virés de leur jardin après avoir consommé le fruit défendu. Après quoi, ces deux premiers loustiques ont donné naissance à deux fils : Caïn et Abel. Et après, enfin, que Caïn aie assassiné son frangin, inaugurant le premier meurtre de l’Histoire, devenu depuis une fâcheuse habitude. Bref, tout ça est dans la Bible et est bien connu. Ce fameux Goddamned, c’est justement Caïn, immortel, qui parcourt la Terre entière depuis plus d’un millénaire à la recherche de ce qui pourra le tuer. Homme, bête, monstre biblique…. Pour le punir, Dieu l’a en effet condamné à l’immortalité pour qu’il soit témoin de la déchéance de l’humanité, déchéance dont il s’est rendu coupable en devenant le meurtrier originel. Par sa propre faute, cette humanité n’est elle que violence, cannibalisme et autres joyeusetés. C’est la raison pour laquelle le grand barbu là-haut se prépare à noyer tout ce beau monde en lâchant les eaux, modèle géant.
L’univers imaginé par J.Aaron est préhistorique, nauséabond, rebutant à tous les niveaux, bien éloignée de ce que décrit la Bible. La « société » est divisée entre plusieurs clans dont les membres et les leaders ne sont pas sans rappeler les warlords de Mad Max Fury Road, et dont les objectifs sont d’asservir et dominer les plus faibles. Le film de G.Miller a été une évidente source d’inspiration dans la création de The Goddamned. A ceci près qu’il n’est pas question de protéger des ressources pour ces clans. C’est une société très primitive, qui s’entre-dévore avant d’aller faire ses besoins où elle s’abreuve. Une société qui détruit son propre environnement (ça ne vous dit rien ?) encore largement nomade dans laquelle chaque rencontre se solde par le massacre de l’autre. La violence, la vulgarité et la crudité des dialogues ne font qu’exacerber avec efficacité cette humanité détestable. Sous ses aspects très brutaux, J.Aaron n’en réussit pourtant pas moins un travail d’écriture intéressant. On peut bien y voir là la dénonciation de notre propre société menée par un inébranlable individualisme. Les dialogues intérieurs de Caïn ou les quelques paroles qu’il prononce font mouche, lui-même est dégoûté par cette humanité bestiale et destructrice. Les bases du récit sont bibliques, mais il n’y a aucune volonté de prosélytisme dans The Goddamned. Bien au contraire, Caïn a plus qu’une dent contre Dieu, l’insultant copieusement. Jamais il ne va contester son existence puisqu’il le connaît, mais il en profite pour le traiter de trou du cul ou bien prouver à ses interlocuteurs qu’il n’est rien de moins qu’un abruti sans égal. D’autant plus que Caïn rencontre dans ce premier volume le personnage bien peu pacifique de Noé, auquel le Tout-Puissant a confié une lourde tâche. L’humanité est vouée à l’extinction par son créateur, ce qui fait s’interroger le héros sur la condition humaine, si peu brillante soit-elle. Une lecture qui n’est donc pas si primitive qu’il n’y paraît. Une dernière référence vient enfin sonner à mon oreille à la lecture de ce premier volume: Guts, le héros du manga Berserk (quasi légendaire lui aussi), tout aussi dur, violent et dénué de sentiment que Caïn.
Aux crayons, le travail de R.M Guéra est d’une efficacité redoutable pour rendre ce monde aussi malsain et viscéral que possible. Les scènes de baston sont débridées, le sang gicle et les membres volent, là aussi à la manière de Berserk. Que dire encore de ces personnages qui s’attifent des yeux de leurs adversaires ou d’autres os humains. Cette ambiance graphique générale n’est pas non plus sans rappeler le dessin animé Rahan de ma jeunesse (le personnage de Caïn aussi d’ailleurs), la violence en moins. L’ambiance à la Mad Max avec certains personnages, mais proche du western aussi, est quant à elle bien plus visible par le seul dessin avec ces grandes étendues désertiques, poisseuses. Ce premier volume est parsemé de nombreuses planches en double page qui viennent agréablement jeter aux yeux du lecteur la crudité du monde. Le découpage est de manière général très réussi, mais le trait en lui-même manque parfois de précision et on ne sait par moment plus trop ce qu’on voit dans les scènes de multiplication des pains. Les personnages, indépendamment les uns des autres, sont néanmoins très réussis graphiquement, que ce soit Caïn ou Noé, pour les plus récurrents. Il y d’ailleurs, dans les traits de certains personnages comme dans les environnement, une petite patte qui n’est sans rappeler quelques ambiances du grand Giraud dans Blueberry. Une autre référence bien plaisante.
The Goddamned propose une aventure originale par son propos et qui ne laisse pas indifférent même si cette débauche de violence graphique et verbale pourra en rebuter certains. J.Aaron et R.M Guéra n’ont pas fait dans la dentelle et s’en donnent à cœur joie pour déconstruire le récit biblique sur lequel ils ont jeté les bases de leur histoire. Jouissif !
3 commentaires
Dionysos
Jason Aaron ne va jamais là où on l’attend, dirait-on. 🙂
Casper
Et c’est surprenant tout court 🙂
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