Noir Duo
Titre : Noir Duo
Auteurs : Sylvie Miller et Philippe Ward
Nouvelles : « Le mur » (SM&PW) ; « Un choix réfléchi » (SM) ; « Martha » (PW) ; « Le survivant » (SM&PW) ; « L’ombre » (SM) ; « Les chemins de l’esprit » (PW) ; « Un futur inimitable » (SM&PW) ; « Les vignes du Seigneur » (PW) ; « Ventres d’airain » (SM) ; « Le fils de l’eau » (PW) ; « Mau » (SM&PW) ; « Prorata temporis » (PW) ; « Tout s’achète et tout se vend » (SM) ; « After midnight » (SM&PW) ; « Lettre d’un futur amer » (SM) ; « Pas de pitié pour les pachas » (SM&PW)
Éditeur : Rivière Blanche (Blanche) [fiche officielle]
Date de publication : 2007
Synopsis : Une folle préface. Un mur aux pouvoirs étranges. Un monde souterrain peuplé de chats sacrés. Une mission en perdition sur Mars. Un guitariste maudit. Un détective au service des dieux… Entre angoisse, humour, suspense et merveilleux, voici seize nouvelles à la croisée des mauvais genres, seize textes à faire flamber les pupilles, seize excursions en territoires inconnus signées par un duo d’enfer, le NOIR DUO !
Au fond de lui, il éprouvait des sentiments nouveaux, indéfinissables, mais très forts. Un désir qu’il n’avait jamais connu. Mais il n’aurait jamais fait le premier pas. Il n’en a parlé à personne. Sauf à son reflet… Évidemment, celui-ci ne l’a pas aidé à prendre des initiatives.
[« Un choix réfléchi », Sylvie Miller]
Quel duo d’auteurs peut se targuer de construire un recueil de nouvelles préfacé par pas moins de 113 autres acteurs des littératures de l’imaginaire ? (et certains sollicités n’ont pas eu le temps de contribuer) Seuls Sylvie Miller et Philippe Ward, à ma connaissance. La « SM hispanophone » et le « taureau Apis XIII », « l’enjouée du 9-3 » et l’ « ours pyrénéen » (lisez la polypréface, je vous dis !), ont réuni seize de leurs textes pour retracer la folle aventure qu’est cette écriture à quatre mains qu’ils ont baptisée Noir Duo.
Ce recueil étant composé de récits extrêmement divers, je préfère détailler, même rapidement, chacun d’eux. Noir Duo débute avec leur toute première nouvelle écrite à quatre mains, « Le mur », où une femme trompée, trahie et abandonnée par son mari, cherche à retrouver un semblant de vie sexuelle. C’est dans ce récit extrêmement touchant mais aussi érotique qu’on saisit toute l’importance du genre fantastique en tant que vecteur nous permettant de comprendre que les murs… n’ont pas que des oreilles.
« Un choix réfléchi », prix Masterton 2002 de la meilleure nouvelle fantastique francophone, poursuit le bal, une valeur sûre donc. Sylvie Miller y narre l’existence sans aucun choix d’un homme placide et morne qui tente tant bien que mal de prendre des décisions quand il y est contraint en consultant son miroir dont le reflet persiste à ne pas davantage se décider.
« Martha » est la toute première nouvelle de Philippe Ward (parue dans Le Courrier d’Arkham n°1 de 1990 !) ; il y joue avec subtilité d’une histoire potentiellement très noire mais dont le lecteur ne peut (veut ?) pas savoir la fin.
Dans « Le survivant », prix Merlin 2004 de la meilleure nouvelle fantasy/fantastique, les deux auteurs racontent le concert du renouveau pour un guitariste maudit, à qui seule sa compagne Julia semble pouvoir lui inspirer goût à la vie.
« L’ombre », par Sylvie Miller, est une petite déception pour moi, car je n’ai pas réussi à m’immerger dans ce double récit sur fond de mission sur Mars en pleine déliquescence. Le double sens à propos de la maladie est porteur, mais l’intrigue me semble trop morne.
Parmi les thèmes étonnants, arrivent « Les chemins de l’esprit » de Philippe Ward ; c’est ainsi le récit d’un berger qui sort de prison après vingt-deux ans pour meurtre. Une fois les éléments posés, le fantastique s’insinue logiquement dans les méandres psychologiques de la renaissance « en marche » désirée par ce pécheur en souffrance.
Avec « Un futur inimitable », les deux auteurs relèvent le défi proposé lors d’une soirée avinée : faire de la science-fiction fromagère ! Après un départ façon « Guerre des mondes » où on ne sait pas trop où les auteurs veulent nous emmener, le défouloir final survient comme promis avec des aspects science-fictionesques bien plus terre-à-terre qu’à l’accoutumée, bien plus passionnants dans leur réalisation qu’une bataille avec des combattants surarmés et des résolutions sans morale profonde.
« Les vignes du Seigneur » est un récit de Philippe Ward qui mêle l’œnologie à la mythologie au sens le plus profond, c’est-à-dire ce qui nous fonde, ce qui nous parle au tréfonds. Que cette nouvelle donne envie de se délecter d’un cru divin !
« Ventres d’airain » est une nouvelle très touchante de Sylvie Miller, ce récit foncièrement SF émet l’hypothèse de maternités de plus en plus mécanisées, mais dont la faible humanité demande d’y ajouter un supplément d’âme, ainsi qu’un additif de souffrance. C’est un récit à la fois triste et pessimiste, mais porteur de thèmes très forts.
Philippe Ward poursuit ce recueil en affermissant son amour de « sa » montagne ariégeoise avec un nouveau récit placé dans ce contexte : « Le fils de l’eau » nous parle d’une tradition familiale centrée sur une source, pas miraculeuse, mais liée à un rituel, et nous emmène doucement vers une orientation plus fantastique sur l’idée du renouvellement de la nature afin qu’elle reste généreuse.
« Mau » loue la fascination du duo pour la gente féline ; le caractère sacré des chats égyptiens les plus racés attise les convoitises et, en l’occurrence, ils sont ici en butte avec des mafieux qui les traquent et dont ils doivent se défaire. Encore une fois, le Noir duo associe habilement aspects très concrets de notre vie quotidienne et aspects très mythologiques qui titillent notre fibre fantasy.
Dans « Prorata temporis », Philippe Ward part du constat simple et très commun que tout un chacun manque de temps et réussit à en faire un récit à tendance mythologique où la Mort, le Temps sont des entités conscientes. Ainsi, cette nouvelle est un monologue d’une sorte de « banquier du temps » s’arrogeant une domination sur nous autres, pauvres mortels, dont l’existence est bien limitée.
« Tout s’achète et tout se vend » est une courte nouvelle-défouloir où Sylvie Miller compte la valeur de toute chose, du menu service à la bise amicale, un défi sympathique donc.
Dans « After midnight », le duo s’échine à faire ressentir les sueurs froides associées par les auteurs aux « dates limites » de remise d’un écrit à un éditeur. La vision est sombre, apocalyptique et finit en apothéose sanguinaire.
La courte « Lettre d’un futur amer » de Sylvie Miller est un appel aigri pour éveiller les consciences politiques devant la montée de certaines discriminations à l’origine de nombreuses dystopies SF. Ce type de récits (notamment après les élections présidentielles de 2002 comme ici, mais aussi de 2007 comme l’anthologie Appel d’air) est toujours utile, surtout a posteriori, car finalement, nous n’en sommes pas sortis du tout.
Ce recueil se termine gaiement avec une longue nouvelle, la toute première enquête de Jean-Philippe Lasser, « Pas de pitié pour les pachas », investigation défouloir dans un monde mi-contemporain (années 1930) mi-mythologique (les dieux sont bien présents dans le monde et se la jouent jet-set) à la suite d’un Gaulois débrouillard qui devient le détective attitré des dieux, ce qui n’est pas rien. L’humour, la culture et la roublardise font le sel de cette aventure qui donne particulièrement envie de poursuivre avec les différentes nouvelles parues ensuite dans cet univers, ainsi que, bien sûr, les différents tomes parus chez Critic.
Après un tel déchaînement de bonnes idées, ce Noir Duo conclue sur une postface décapante qui leur permet de se moquer de leurs propres travers, signe d’une profonde humilité.
Noir Duo est un recueil qui nous happe sans retenue à travers un nombre conséquent de thèmes particulièrement riches. Au vu de la période abordée et de l’idée proposée en toute fin de recueil, ce duo a produit depuis une certaine quantité de nouveaux récits… devons-nous espérer (avec grand plaisir) un « Noir Duo 2, le retour » pour bientôt ?
Autres critiques :
Aucun commentaire
Vert
J’ai complètement oublié de quoi parlaient toutes ces nouvelles mais je garde tout de même un bon souvenir de ce recueil ^^.
Dionysos
C’est l’essentiel alors^^