La 25e Heure du Livre 2015, Conférence #4 : Peuples autochtones, nomades, les conséquences du contact avec l’Occident
Parmi les tables-rondes auxquelles nous avons pu assister cette année dans le cadre de la 25e Heure du Livre du Mans, l’une d’elles proposait de s’interroger sur la rencontre entre les peuples nomades d’Afrique, d’Océanie et d’Amérique avec l’Occident. Intitulée « Peuples autochtones, nomades, les conséquences du contact avec l’Occident », elle réunissait Jean-Marc Durou (Les Touaregs, initiation aux cultures nomades), Raymond Figueras (Au pays des hommes-fleurs), Marie-Hélène Fraïssé (L’impensable rencontre), Anne Sibran (Les orphelines du Peuple fantôme) et Michèle Therrien (Les Inuit).
Quelles sont les sources dont on dispose aujourd’hui concernant la période des premiers contacts entre les Occidentaux et les Amérindiens ? Sont-elles fiables ?
Selon Marie-Hélène Fraïssé, beaucoup d’illusions persistent aujourd’hui car les chroniques émanant des explorateurs européens sont nombreuses alors qu’on a très peu de témoignages émanant des Amérindiens. Les premiers témoignages qu’on a pu récupérer ont été écrits par des voyageurs venants d’Espagne, de France, d’Angleterre, et même de Suède ou de Finlande. Au fur et à mesure de leur avancée sur le territoire, on se rend compte qu’ils sont en fait déjà accompagnés d’Amérindiens qui les guident parmi les autres tribus autochtones. Tous ces récit relatent donc des « premières rencontres » qui n’en sont pas vraiment. Avant l’arrivée de ces expéditions, il est par exemple plus que probable que les populations locales aient eu affaire à des navigateurs ou des pêcheurs qui connaissaient bien le coin mais n’ont jamais fait le récit de leur rencontre avec les Amérindiens. Les témoignages concernant cette période doivent également être pris avec du recul pour la simple et bonne raison qu’ils comprennent une part non négligeable d’auto-fiction : ils sont souvent adressés à ceux qui font autorité en Occident et visent à justifier la réussite du voyage de l’explorateur et ainsi lui garantir des profits.
Qu’en est-il en ce qui concerne les Inuits ?
Michèle Therrien tient d’abord à rappeler la différence entre les termes « esquimaux » et « inuits ». Le premier n’est en fait qu’une désignation (c’est-à-dire le nom que leur ont attribués les Européens) tandis que le second est un ethnonyme (c’est-à-dire le nom que le peuple utilise lui-même pour se désigner). On pourrait traduire ce dernier par « les êtres humains ». Elle explique ensuite que les Inuits ont longtemps pâti de l’image forgée par les récits de l’ethnologue danois Knud Rasmussen au début du XIXe siècle. Celui-ci estimait en effet que les Inuits n’avaient pas de philosophie particulière ni d’esprit logique : ils sauraient analyser des événements mais seraient incapables de conceptualiser. Par son témoignage, il a fait beaucoup de tort aux Inuits qui auront par la suite bien du mal à se défaire de cette image.
Comment s’est passée la rencontre entre les Occidentaux et le peuple des Touaregs ?
Jean-Marc Durou explique qu’au début du XIXe siècle on connaît plutôt bien les continents américain et asiatique mais, paradoxalement, très peu le continent africain que les explorateurs ont l’habitude de contourner mais dans lequel on ne rentre que très rarement (religion musulmane prédominante, côtes peu navigables…). Les premiers explorateurs s’intéressent d’abord essentiellement au sud du Sahara car ils sont à la recherche d’or. Leurs expéditions fournissent de premières indications sur la région, même si certains de ces témoignages sont trompeurs car volontiers condescendants ou méprisants à l’égard des populations locales. Finalement, la France se décide au milieu du XIXe à conquérir cette partie de l’Afrique et les confrontations entre les autochtones et les troupes françaises sont très brutales. La deuxième phase de la conquête consiste en une mise sous tutelle de la région par les militaires qui continuent à craindre les nomades. Le réveil est lui aussi brutal au moment où les pays colonisés revendiquent leur indépendance dans les années 1940-50. Les Touaregs se retrouvent alors dans des pays libres de présence étrangère (Niger, Mali, Algérie) mais sans personne pour les représenter.
Que sait-on des premiers contacts des « Hommes-fleurs » avec l’extérieur ?
Raymond Figueras est pour sa part spécialiste de la tribu dite des « hommes-fleurs » (là encore une dénomination occidentale) qui vivent sur une petite île à environ 150 km à l’ouest de Sumatra. Là-bas, les contacts avec le monde extérieur se font progressivement et relativement tardivement. Ils ne rencontrent pendant longtemps que des navigateurs de passage avant de nouer des relations avec Sumatra sans que cela n’influence véritablement leur mode de vie. Il faut attendre l’arrivée des Hollandais et de la Compagnie des Indes orientales pour cela puisqu’ils sont responsables de la propagation sur l’île de la religion protestante. L’armée installe ensuite des bases un peu partout sur ces îles mais ce n’est que dans les années 1950, après l’indépendance de l’Indonésie, que de véritables contacts ont lieu. Ceux-ci sont d’ailleurs assez brutaux pour les populations locales car il y a une véritable volonté centralisatrice de la part des autorités indonésiennes : les tribus sont chassées des forêts, toute personne résidant sur l’île est désormais dans l’obligation de revendiquer son appartenance à une religion, la culture animiste est peu à peu interdite de même que toutes la caractéristiques propres à la culture locale (cheveux longs, tatouages…). La situation finit toutefois par s’apaiser : l’île est déclarée biosphère mondiale et un début de tourisme renforce peu à peu la volonté identitaire des autochtones.
Quel est l’impact du tourisme sur ces territoires aujourd’hui ?
Marie-Hélène Fraïssé fustige pour sa part l’émission télévisée populaire « Rendez-vous en Terre inconnue » qui filme selon elle de fausses rencontres qui ne sont que simulées. Ce qui la gêne, c’est que l’émission a tendance à occulter tout ce qui pourrait poser problème aux Occidentaux (on ne parle pas vraiment des difficultés que rencontrent les populations concernées..). De même, elle oublie de mentionner que les tribus chez lesquelles se rendent les célébrités reçoivent de l’argent en échange de leur accueil. Michèle Therrien regrette pour sa part les pratiques malhonnêtes utilisées par de grands groupes (Total et Areva, pour ne pas les citer) pour exploiter au maximum les ressources naturelles du territoire inuit. Elle regrette notamment leurs tentatives d’« acheter » les anciens en leur proposant quelque chose qu’ils ne peuvent pas refuser car il représente quelque chose d’essentiel dans leur culture : un voyage sur leur lieu de naissance.
Les Touaregs n’ont pour leur part pas de problèmes avec les touristes puisqu’ils vivent dans une zone en guerre et que le Sahara est désormais totalement fermé, sauf pour quelques ONG. Les premiers à pâtir de la situation sont évidemment les populations locales. Anne Sibran mentionne pour sa part l’existence d’un tourisme illégal dans les zones protégées de la forêt amazonienne ce qui peut être très dangereux pour les tribus autochtones qui y vivent et qui n’ont jamais eu de véritables contacts avec le reste du monde. Chez les « hommes-fleurs » aussi, le tourisme est devenu un problème car il a tendance à devenir de masse. Une compétition s’installe alors entre les clans car la venue de gros groupes d’étrangers représente évidemment beaucoup d’argent. Les émissions de télé-réalité toujours plus nombreuses à être tournées dans des lieux tel que celui-ci commencent également à poser problème et participent à véhiculer une fausse image de ces peuples.