Utopiales 2014, Entretien #2 : Olivier Ledroit et Thomas Day
« Une réécriture des contes de fées dans un décor steampunk ». Voilà comment les éditions Glénat présentent ce premier tome des aventures de la jeune Wika (« Wika et la fureur d’Obéron ») illustré par Olivier Ledroit et co-scénarisé par Thomas Day. Tous deux étaient présents à Nantes à l’occasion du festival des Utopiales, ce dont ils ont profité pour présenter leur ouvrage et évoquer leur collaboration.
Comment s’est passée leur rencontre ?
Elle date d’il y a vingt ans, lorsque Thomas Day noue contact avec Olivier Ledroit et Guillaume Sorel lors d’une exposition. C’est un artiste qu’il admire beaucoup car il découvre avec lui un tout autre style de bande dessinée que ce dont il avait l’habitude. Lorsqu’il rentre chez Denoël en tant que directeur de la collection « Lunes d’encre », il le sollicite rapidement pour réaliser des couvertures de romans jusqu’à ce que Ledroit lui propose de participer à « Wika ».
Comment s’est passée leur collaboration ?
Le scénario s’inspire beaucoup de contes de fées et a été développé par les deux artistes pendant six mois avant que ne soit abordée la phase croquis. Le procédé fut long et fastidieux pour Thomas Day qui n’avait jusqu’à présent jamais fait de bande dessinée ou de scénario. Pour se former, il a acheté quantité d’ouvrages afin de décortiquer leurs scénarios. Une fois les grandes lignes posées, Day fait des propositions à Ledroit qui se lance alors dans les dessins qui doivent prévaloir sur le texte. L’auteur insiste bien sur le fait qu’il est avant tout au service des dessins et de la vision de Ledroit. Malgré les difficultés rencontrées, c’est une expérience qui lui a énormément plu et qu’il souhaite aujourd’hui poursuivre.
Tous deux avaient déjà travaillé à de multiples reprises en collaboration par le passé, était-ce différent cette fois ?
Chaque collaboration est évidemment différente. Pour « Chroniques de la lune noire », par exemple, Olivier Ledroit a trouvé assez difficile de trouver sa place dans un projet où le scénario était déjà construit. Il y a eu beaucoup plus d’échanges avec Thomas Day qui confirme les dires de son camarade en expliquant que travailler avec Olivier Ledroit est totalement différent que de travailler avec, par exemple, Ugo Bellagamba (« Le dernier corps du roi » ; « L’école des assassins »). Cela est notamment du à la spécificité de la bande dessinée qui veut que l’apport du scénario soit mineur puisqu’il est là avant tout pour se mettre au service des graphismes. Sur « Wika », il voulait vraiment des scènes avec des mouvements lents et qui se développeraient sur sept ou huit pages et non une succession de séquences épileptiques.
Quelle est la relation entre l’image et le texte ?
Une fois le travail terminé, Day se rend compte que certains des personnages ne ressemblent pas du tout à ce qu’il avait imaginé, et il en va de même pour certaines scènes car Ledroit s’empare de ses idées pour les remettre à sa sauce. L’illustrateur avoue pour sa part avoir un esprit très brouillon: il fonctionne avec des images décousues, des séquences. C’est lui qui fait les découpages et ensuite ils construisent à deux les dialogues. Cela permet davantage de souplesse mais cela pose également des difficultés supplémentaires pour Thomas Day. Il y a toutefois la volonté de la part des deux artistes de créer un ouvrage d’une grande fluidité : les lecteurs ne doivent pas se rendre compte du travail qu’il y a derrière chaque dessin, chaque texte.
Quelles sont les œuvres qui les ont inspirés pour réaliser cette bande dessinée ?
Pour Ledroit, il s’agit avant tout des contes de Grimm ainsi que de tout ce qu’il a pu faire jusque là sur la féerie. Un travail qui se poursuit d’ailleurs aujourd’hui puisqu’il est en train de travailler sur un ouvrage mettant en scène des fées steampunk, aventurières, amazones… C’est un sujet qu’il apprécie beaucoup et sur lequel il revient par conséquent assez naturellement. L’objectif était qu’un enfant âgé d’environ neuf ans puisse lire l’ouvrage et l’apprécier, sans pour autant en comprendre toutes les subtilités. Thomas Day n’a pour sa part guère eu besoin de chercher à s’inspirer ailleurs puisque, dès le début de leur collaboration, Ledroit lui a obligeamment fourni 400 pages de croquis. C’est pourquoi il a plutôt des anti références. Il voulait absolument éviter quelque chose qui ressemblerait au « Seigneur des Anneaux », quelque chose de vu et revu et surtout désincarné. Il est très friand du côté steampunk et du mélange des genres et des époques.
Lisent-ils beaucoup de bandes dessinées et si oui lesquelles ?
Ledroit apprécie particulièrement Bluberry et les comics, notamment ceux d’Alan Moore mais avoue n’avoir plus guère le temps de lire aujourd’hui. Thomas Day est pour sa part plus axé « Tintin » ou encore « Les idées noires ». Il apprécie aussi particulièrement les romans graphiques et en a d’ailleurs dernièrement lu deux très bons sur la Corée du Nord ainsi que sur la seconde guerre mondiale. Autant de lectures qu’il effectue aussi bien pour son plaisir que pour analyser les scénarios, les jeux entre les bulles et les cases, les dialogues et les voix narratives…
Préfèrent-ils travailler seuls ou en collaboration ?
Ledroit n’aime pas travailler seul, tandis que Day a besoin de prendre du temps pour écrire pour lui. Il y a une grosse part de travail solitaire, ce qui ne l’empêche pas de développer des collaborations avec d’autres auteurs ou illustrateurs, notamment Aurélien Police (qui avait déjà réalisé les illustrations accompagnant chaque nouvelle du recueil « Sept secondes pour devenir un aigle ») avec qui il prépare un nouveau projet. Il aime se lancer de nouveaux défis, et réaliser des scénarios de bandes dessinées en est un. Travailler en collaboration est également toujours une expérience enrichissante : on a toujours du plaisir lorsqu’on travail avec des artistes talentueux. Cela ne l’empêche toutefois pas de continuer à écrire des romans, ce qu’il ne pourrait de toute façon pas arrêté de faire.
Quel est leur rapport à la féerie ?
Les fées sont pour Ledroit généralement assez imbuvables. Ce qu’il aime chez elles, c’est avant tout leur côté malicieux et un peu inquiétant (d’où la présence dans « Wika » d’une fée noire). Day voulait pour sa part revenir aux sources du conte de fée et à leur cruauté (enfants abandonnés, mangés…) et voulait donc s’affranchir de toutes références du genre Disney. Il est surpris aujourd’hui par l’espèce d’immunité qui entoure les personnages de romans ou de bandes dessinées qui, peu importe la difficulté de la situation à laquelle ils se retrouvent confrontés, finissent toujours par s’en sortir sans une égratignure. Il a voulu éviter cela dans « Wika », un peu à la façon de G. R. R. Martin et de son « Trône de fer », et c’est pourquoi on a jamais la certitude dans l’ouvrage que tel personnage sera bien présent dans les volumes suivants. Il souhaitait revenir à des choses moins lisses, moins prévisibles.
Qu’ont représenté pour Olivier Ledroit « Les Chroniques de la lune noire » ?
Il s’agit d’une série de bandes dessinées prenant place dans un univers médiéval-fantastique qui a lancé sa carrière il y a vingt cinq ans. Il n’était alors âgé que de dix-huit ans et a donc appris sur le tas. La collaboration avec Froideval a été un peu difficile et, même s’il est ravi d’avoir mené à bien cette expérience, il est également aujourd’hui soulagé qu’elle se soit terminée.
Qu’en est-il « Sept secondes pour devenir un aigle » ?
Il s’agit du dernier livre en date de Thomas Day et il traite du rapport à l’environnement (naturel, urbain ou virtuel) en mettant en scène des futurs qui ne vont pas bien. Il a tenu à écrire toutes ces nouvelles parce qu’il a des enfants et qu’il est inquiet du manque de perspective qu’on offre aux générations futures. Il a l’impression d’avoir pour sa part grandi dans un monde d’insouciance, sans télévision mais avec des livres de Jules Verne, Vance ou encore Moorcock, et surtout sans autant de contacts avec les désastres qui se passent partout dans le monde. Son livre dresse le constat que l’on vit dans un monde où les perspectives se resserrent et c’était pour lui l’occasion d’en parler et de se débarrasser de ses angoisses.
Pourquoi sont-ils tous deux attirés par le post apo ?
Le sujet de la disparition de l’homme fait beaucoup fantasmer Ledroit a qui on doit d’ailleurs une adaptation en bande dessinée d’un texte de Philippe K. Dick (« La porte écarlate »). « Wika » est également, dans une moindre mesure, le reflet de la disparition de beaucoup de choses puisque la magie du monde s’y épuise. Le rapport que nous avons aujourd’hui à l’égard des fées, des korigans.. n’est plus du tout le même qu’il y a un siècle. C’est moins le cas en Orient où il reste beaucoup de croyance et c’est en partie pour cela que Day est aussi fasciné par le continent asiatique. Son attirance pour le post apo est surtout liée à des œuvres cinématographiques telles que « Mad Max » ou encore cette scène ahurissante dans « La Planète des singes » où on observe la statue de la liberté gisant par terre dans un monde en ruine.
Quelle place occupe le sexe dans « Wika » ?
Il était au départ prévu qu’il n’y ait aucune scène de sexe et, même si le sujet n’est pas abordé frontalement, il est souvent sous-jacent. C’est un thème sur lequel il apprécie travailler, notamment parce que la bande dessinée est justement très propice à l’érotisme. Pour Day, « Wika » étant le récit de l’apprentissage d’une jeune fée, il était évident que des thèmes tels que les premières règles ou les premiers rapports sexuels allaient être abordés. Ils se sont cela dit imposés des barrières puisque l’objectif était que la fille de l’artiste, âgée de douze ans, puisse lire l’ouvrage. Thomas Day pense que le sexe est ce qui permet l’incarnation des personnages et c’est pour cela qu’il n’apprécie pas vraiment Tolkien, car ses personnages sont en quelque sorte asexués, sans chair.
Qu’en est-il de ces tatouages qui tiennent également un rôle important dans l’ouvrage ?
Les tatouages évoluent dans « Wika » en fonction des sentiments de la jeune fée (des têtes de mort apparaissent lorsqu’elle est triste et sont remplacées par des fleurs lorsqu’elle fait l’amour…). Cette idée de tatouages mobiles, Ledroit travaille également dessus pour son prochain livre.