Aucun souvenir assez solide
Titre : Aucun souvenir assez solide
Auteur : Alain Damasio
Nouvelles : Les Hauts Parleurs ; Annah à travers la Harpe ; Le bruit des bagues ; C@PTCH@ ; So phare away ; Les Hybres ; El Levir et le Livre ; Sam va mieux ; Une stupéfiante salve d’escarbilles et de houille écarlate ; Aucun souvenir assez solide
Éditeur : La Volte / Folio SF
Date de publication : 2012 / 2014
Synopsis : Une cité de phares noyée par des marées d’asphalte où la lumière est un langage. Une ville saturée de capteurs qui dématérialise les enfants qui la traversent. Un monde où la totalité du lexique a été privatisée. Un amant qui marche sur sa mémoire comme dans une rue… En dix nouvelles ciselées dans une langue poétique et neuve, Alain Damasio donne corps à cet enjeu crucial : libérer la vie partout là où on la délave, la technicise ou l’emprisonne. Redonner aux trajectoires humaines le sens de l’écart et du lien. Face aux hydres gestionnaires qui lyophilisent nos cœurs, l’imaginaire de Damasio subvertit, perfore les normes et laisse à désirer. C’est un appel d’air précieux dans un présent suturé qui sature.
Dans une société où tout ce qui n’est pas quantifiable se vend, où l’on assure la vie, s’achète une beauté, des organes, une mémoire, où l’on a privatisé à peu près tout, de la Lune au ciel d’Europe, de la mer Rouge aux fleuves et aux rues, où toute rencontre se paie, tout service humain a son prix, où tous les parents signent des contrats avec leurs enfants, où les collégiens prennent un crédit pour leurs études et licencient leurs profs, où l’on monnaie l’amour et l’intime, la santé et le temps de cerveau disponible, nous cherchons à ouvrir des brèches. (Le bruit des bagues)
Avec seulement deux romans, Alain Damasio s’est imposé en l’espace de quelques années comme un auteur majeur sur la scène française, et pas seulement parmi les lecteurs de littérature de l’imaginaire. Mais outre « La Horde contrevent » et « La Zone du Dehors », Damasio est également l’auteur d’un certain nombre de nouvelles regroupées dans un recueil intitulé « Aucun souvenir assez solide », republié cet été en poche chez Folio SF. Science-fiction, fantasy, essai philosophique…, on serait bien en peine d’accoler une quelconque étiquette à la plupart des textes présents au sommaire de cet ouvrage qui fait figure de véritable ovni littéraire. Autant l’avouer d’emblée, si les précédents écrits de l’auteur possédaient déjà un certain degré de complexité, le niveau ne fait ici qu’augmenter à tel point que, sans un bon bagage philosophique, il devient parfois difficile de bien saisir où veut en venir l’auteur, sans parler d’appréhender toutes les subtilités des notions abordées ou des univers et personnages créés. A ma grande honte et frustration j’ai ainsi eu le sentiment de passer à côté de certaines nouvelles, notamment « El Levir et le Livre », consacrée à la vie d’un scribe en quête du livre ultime, ou encore « Sam va mieux », texte se déroulant dans un décor post-apocalyptique et mettant en scène un personnage ravagé par la solitude. Deux textes qui dégagent une grande force mais dont je ne suis pas parvenue à véritablement m’imprégner.
La plupart des nouvelles se lisent malgré tout avec beaucoup d’intérêt et traitent de sujets d’actualité chers à Damasio : l’uniformisation de nos sociétés occidentales, la course à la sécurité, l’hypocrisie et le cynisme des politiques, le rôle libérateur de l’art… Le texte qui m’a le plus touché est celui chargé d’ouvrir le bal, « Les Hauts Parleurs », et le fait qu’il soit clairement affilié à « La Zone du Dehors » n’y est évidemment pas étranger. On y découvre un monde où la totalité du lexique a été privatisé par l’état ou de grandes entreprises et où les seuls résistants se trouvent être des marginaux vivant au ban de la société et se jouant des mots avec une virtuosité et un enthousiasme incroyables. « Annah à travers la Harpe » est également une nouvelle chargée d’émotion puisqu’elle met en scène un père qui entreprend un voyage spirituel afin de ramener sa petite fille dont on comprend au fur et à mesure la raison du décès. Les deux autres textes qui m’ont le plus marquée se déroulent tous deux dans un cadre urbain très particulier : dans « C@PTCH@ » le décor est une ville qui dématérialise les enfants qui la traversent, un phénomène tragique mais hypnotique et qui fait par conséquent le bonheur des caméras, tandis que dans « So phare away » Damasio nous dépeint une cité de phares où la lumière est devenue un véritable langage bien que dangereusement menacé.
Si les deux précédents romans de l’auteur ne vous en avaient pas convaincu, « Aucun souvenir assez solide » est bien la preuve que Damasio est un auteur exigent qui entend avant tout faire travailler les méninges de ses lecteurs. Le recueil n’est toutefois pas, selon moi, le meilleur moyen de découvrir son œuvre et reste donc réservé aux fans ayant déjà lu ses précédents romans. (A noter que la version Folio SF comprend une postface revenant sur chacune des nouvelles et renseignant sur les nombreuses influences de l’auteur).
Autres critiques : Guillaume (Le Traqueur Stellaire)
2 commentaires
zeb
Bon, je vais commencer par ses romans alors. Je n’ai jamais lu aucun des livres de cet auteur, même si je vois son nom chaque année aux Utopiales. Les thèmes m »intéressent toutefois (privatisation, sécurité…) donc je le garde dans un coin de ma tête. Il faut que je lise un Damasio un jour.
Boudicca
Je t’y encourage 🙂 Toi qui parlais justement de l’habilité de Jaworski en matière de style, je pense que tu devrais apprécier la plume de Damasio qui a vraiment un don pour les mots.