34m²
Titre : 34m²
Auteur/Autrice : Louise Mey
Éditeur : Les éditions du Masque
Date de publication : 2025
Synopsis : Il y a deux heures ou peut-être mille ans, Juliette s’est réveillée. Elle a effectué les gestes qu’elle répète tous les jours : écouter le souffle de sa fille de huit mois, la prendre dans ses bras, chauffer le biberon et attendre Clare, la voisine qui toque chaque matin. Juliette ouvre la porte, seulement ce n’est pas Clare, c’est lui.
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Se reconstruire après des violences conjugales
Juliette est une jeune femme qui vit seule, avec sa fille de neuf mois Inès, dans un petit appartement de 34m². Elle se réveille, s’occupe de sa fille, de la maison, tout en savourant la paix retrouvée après des années de violences conjugales. Cela fait plus de cinq ans maintenant que l’homme responsable de son calvaire est sous les barreaux et qu’elle est parvenue à se libérer de son emprise (même si son emprisonnement n’est pas lié à ce qu’il lui a fait vivre). Au fil de la matinée, Juliette se souvient de la façon dont elle s’est reconstruite peu à peu. La façon dont elle est parvenue à ne plus avoir peur à la moindre sortie, à ne plus barricader sa porte ni cacher des couteaux un peu partout dans la maison, à renouer avec sa famille et ses amis avec lesquels il l’avait forcée à couper les ponts. A accepter son désir de faire un enfant, toute seule. Tout se déroule selon la rassurante routine habituelle, jusqu’aux coups sur la porte qui annoncent d’ordinaire l’arrivée de Clare, une voisine en qui Juliette a confiance et qui connaît son passé et ses traumatismes. Seulement lorsque la jeune femme va ouvrir la porte, ce n’est pas Clare. C’est lui. Le récit prend alors une tournure différente, Juliette se rappelant non pas l’après mais l’avant. Les coups, les insultes, le contrôle de tous les aspects de sa vie, ce visage et ce corps qu’elle a appris à déchiffrer par cœur pour anticiper, apaiser, prévenir les coups, et dont le moindre contact lui provoque peur et dégoût. Aussitôt c’est comme ci les années de liberté s’étaient envolées, n’avaient servi à rien. Les vieux réflexes reviennent, la soumission aussi. Retranchée au plus profond d’elle-même Juliette est tentée de rendre les armes. De céder à l’inéluctabilité de son retour sous la coupe de cet homme qui n’a visiblement pas renoncé à elle et ne renoncera jamais. Seulement, dans la chambre, endormie, il y a Inès. Et Inès est bien la preuve que Juliette a réussi à partir. A survire.
Une lecture éprouvante nerveusement et émotionnellement
Fidèle à son habitude, Louise Mey nous offre ici un roman féministe mettant l’accent sur les violences faites aux femmes, un sujet qui traverse l’ensemble de son œuvre et qu’elle avait déjà traitée de façon assez exhaustive dans « La deuxième femme ». On retrouve ici le même mode de narration qui nous plonge en état de quasi apnée, avec des phrases sans ponctuation qui défilent à la vitesse de la pensée du personnage. Les dialogues sont quasi inexistants, et pourtant la conversation silencieuse qui se joue entre Juliette et l’homme est assourdissante, dangereuse. C’est une lecture éprouvante que celle de ce roman, une de celle où l’on est tenté de faire défiler les pages à toute vitesse, moins dans le but de savoir ce qu’il va advenir que dans celui de voir le supplice de l’héroïne enfin prendre fin. Louise Mey parvient en l’espace de quelques pages seulement à instaurer une tension presque insoutenable, l’image de cet homme dans un espace restreint, de ce bébé qui dort juste à côté et de la menace sousjacente qui plane sur Juliette suffisant à éveiller chez n’importe quelle femme une crainte presque viscérale. On ne veut pas assister à ce qui va se passer. On ne veut pas voir cette jeune femme qui se croyait libérée être à nouveau défaite. Et surtout on ne veut pas imaginer ce bébé vivre lui aussi dans la terreur provoquée par cet homme convaincu de son droit de propriété sur son ancienne compagne. Avec une économie de moyen remarquable, l’autrice met en lumière tous les mécanismes, tous les ressorts des violences conjugales, et l’impact qu’elles ont sur le long terme sur les victimes. Comme d’habitude, j’ai beaucoup aimé la conclusion choisie par Louise Mey (même si elle est ici un peu frustrante) parce qu’elle ne cantonne pas ses personnages au rôle de victime mais entreprend au contraire de les rendre à nouveau actrice de leur propre vie, détentrice d’un pouvoir et d’une force qu’elles ne soupçonnaient pas mais qui existe bel et bien.
Lecture éprouvante, « 34m² » est un roman dans lequel Louise Mey renoue avec un sujet qui traverse toutes ses œuvres : les violences faites aux femmes. A travers le récit de ces quelques heures seulement passées en compagnie de Juliette, l’autrice aborde en profondeur la question des violences conjugales, de ses manifestations et de ses conséquences. La violence ici est sous-jacente mais la menace qui plane suffit à instaurer une tension presque insoutenable pour le/la lecteur/lectrice. Une lecture dont on ne ressort pas indemne.
Autres critiques : ?


