Fantasy

Le guerrier oublié, tome 1 : Le fils de l’acier noir

Titre : Le fils de l’acier noir
Cycle/Série : Le guerrier oublié, tome 1
Auteur : Larry Correia
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2017 (septembre)

Synopsis : La guerre des dieux a fait rage et les démons furent vaincus. Exilées sur terre, les monstrueuses créatures ravagèrent le monde des hommes jusqu’à ce que les dieux envoient le grand héros Ramrowan, qui les repoussa dans les mers. Siècle après siècle, dieux et démons tombés dans l’oubli devinrent des légendes. Les hommes perdirent la foi. Ainsi débute l’Âge de la Loi, où l’homme règne sur la terre ferme, et les démons, sur les océans. La Loi. Tel est le maître mot de la vie d’Ashok Vadal, chevalier-protecteur chargé de punir ceux qui l’enfreignent. Bretteur d’élite sans peur ni pitié, armé d’Angruvadal, son épée ancestrale en acier noir d’une puissance légendaire, il va dé­couvrir qu’il n’est pas celui qu’il pense être et que sa vie entière est basée sur un mensonge. Alors son monde s’effondre et, dans un tourbillon d’intrigues et de jeux de pouvoir, Ashok devra emprunter un chemin qui le mènera à la rébellion, à la guerre, à la destruction.

Bibliocosme Note 4.0

Quelque soit l’endroit d’où venaient les démons, il y a eut un avant et un après leur arrivée. Ils sont tombés du ciel, avant de se mettre à tout détruire. A travers le monde, les cités brûlaient et les hommes fuyaient devant les créatures qui sont presque parvenues à nous exterminer. L’acier noir nous a permis de les repousser dans les océans, qu’ils ont alors transformés en enfer. Depuis cette époque, les démons règnent sur les mers.

De l’heroic fantasy qui dépote

Auteur d’une précédente trilogie chez l’Atalante (« Chroniques du Grimnoir »), Larry Correia se lance ici dans de la pure heroic fantasy, et c’est sur les sages conseils d’un certain dieu égyptien que j’ai finalement décidé de m’y plonger. L’intrigue n’avait pourtant, au premier abord, rien d’extraordinaire ou de très original : le héros est un guerrier quasiment imbattable qui se retrouve pour x raisons à affronter une succession d’adversaires dont il finit toujours par triompher, quelque soit leur force, leur nombre ou leurs pouvoirs. Il serait néanmoins très réducteur de limiter le roman à cela, celui-ci reposant sur des bases solides et parvenant à se démarquer de bien des manières. Difficile de s’étendre véritablement sur l’intrigue qui repose sur un ensemble de révélations qu’il serait dommage de spoiler, mais celle-ci prend vite un tournant inattendu qui permet au roman de s’éloigner progressivement des sentiers battus. L’aspect politique revêt notamment une dimension de plus en plus importante et, si certains éléments auraient peut-être mérités d’être traités de manière plus subtile, il permet de donner davantage de profondeur au récit. La première moitié du roman est ainsi franchement captivante : le rythme y est savamment dosé et les flashbacks consacrés au passé du héros permettent à l’auteur d’introduire et présenter un certain nombre de spécificités de son univers sans pour autant noyer son lecteur d’informations. Cette partie du récit m’a beaucoup fait penser à Javier Negrete et ses « Chroniques de Tramorée » dans lesquelles on retrouve à mon sens la même fluidité de narration et les mêmes techniques d’exposition. La seconde partie est un peu plus en dessous, les étapes jalonnant le périple d’Ashok se révélant moins passionnantes, mais le tout reste tout de même de bonne facture. L’auteur y distille, de plus, un certain nombre de révélations concernant l’histoire du continent et les causes de l’instauration du système politique actuel, et celles-ci ouvrent d’intéressantes perspectives pour la suite.

Hindouisme sur fond d’inégalités sociales

Le domaine dans lequel le roman fait preuve du plus d’originalité est incontestablement son univers qui prend, pour une fois, son inspiration non pas dans l’Europe médiévale mais plutôt dans la culture hindoue. Cela saute au yeux en ce qui concerne le décor (plus luxuriant que ce qu’on trouve habituellement), mais aussi et surtout de l’organisation de la société mise en scène ici. Larry Correia dépeint un système de castes stricte et très hiérarchisé dans lequel certains ont tout quand d’autres ne sont même pas considéré comme des êtres humains. Ceux qui ont la chance d’être nés parmi l’élite jouissent ainsi de tout le confort qu’ils désirent et du pouvoir qui l’accompagne : ils sont répartis en plusieurs Maisons entre lesquelles règne un équilibre précaire maintenu uniquement grâce à la Loi et la peur exercée par ses défenseurs. Parmi les classes intermédiaires, on trouve les guerriers, les marchands, les artisans… : bref, les professions jugées les plus utiles à la société. Et puis il y a les « sans castes », aussi appelés les « intouchables ». Ceux-là sont cantonnés dans des ghettos sordides ou bien dans des villages de bord de mer (zone particulièrement dangereuse, mais nous y reviendrons) et servent de main d’œuvre aux membres des autres castes pour lesquels ils ne valent pas plus que des meubles. Bien évidemment, ce système extrêmement inégalitaire est ponctuellement remis en cause par les intouchables eux-mêmes mais, chaque fois, la révolte est étouffée dans l’œuf. A ces différentes castes, il faut également ajouter plusieurs ordres parmi lesquels on peut notamment citer celui des Protecteurs de la Loi (auquel appartient le héros) ou encore celui de l’Inquisition, qui a aussi mauvaise réputation que celle que nous connaissons tous et dont les membres sont d’autant plus effrayants qu’ils se cachent derrière des masques (on ne sait donc jamais à quoi un Inquisiteur ressemble sans son masque, et on se les imagine donc partout).

Un océan inaccessible

Le second aspect le plus intéressant ici réside dans l’histoire du continent dont on découvre qu’il a fait l’objet d’une répartition bien précise : la terre aux hommes, la mer aux démons. L’eau salée est ainsi considérée comme impure (ce qui explique pourquoi ce sont les intouchables qui vivent sur les côtes : leur vie ne vaut rien et les raids menés par les monstres ne menace ainsi rien de bien important) et tout contact avec l’océan est devenu totalement inenvisageable. Le seul aperçu que l’on a du bestiaire de Larry Correia se limite ainsi à l’un de ces fameux démons qui peuplent la mer et auquel notre héros se retrouve confronté dans la scène d’ouverture du roman (cf la très belle couverture de Camille Alquier qui illustre ce passage parfaitement reconnaissable). L’univers recèle en tout cas d’intéressantes possibilités : le fait que les personnages ne puissent pas prendre la mer, par exemple, laisse planer un doute intéressant sur l’existence ou non d’autres royaumes humains en dehors de celui-ci. De même, cette forteresse dont on entend parler à plusieurs reprises soulève un certain nombre de questions dont on est impatient de connaître les réponses (comment ses habitants ont réussi à venir à bout des dangers de la mer ? D’où tirent-ils leur pouvoir (même si on peut déjà se faire une petite idée) et comment parviennent-ils à approvisionner le continent en armes « magiques » ?) La magie est justement assez présente sans pour autant prendre trop de place dans le récit : il existe des sorciers (plus ou moins puissants) et essentiellement deux « objets » aux propriétés surnaturelles, de la chair de démon et le fameux acier noir dans lequel sont forgés les épées ancestrales autrefois en possession de chaque Maison et désormais quasiment disparues.

Un héros bad-ass plus sympathique que prévu

Le héros, Ashok, est justement en possession de l’une de ces épées et, loin d’être un simple artefact, Angruvadal apparaît presque comme un personnage à part entière. Il faut dire que l »épée possède des pouvoirs hors normes, parmi lesquels, notamment, la possibilité pour elle de choisir son porteur (en manifestant son déplaisir en tuant ou mutilant tous ceux qu’elle estime indignes). Son intérêt réside aussi et surtout dans le fait qu’elle garde en mémoire tous les combats qu’elle a pu mener, ce qui permet à son porteur de faire face à quasiment n’importe quelle situation sans être pris au dépourvu. Autant dire qu’entre les mains d’un guerrier déjà accompli comme c’est le cas d’Ashok, elle a la possibilité de devenir une arme de destruction redoutable (difficile d’ailleurs de ne pas faire le lien avec la célèbre Strombringer d’Elric). Les scènes de combat sont d’ailleurs assez spectaculaires et très bien écrites : c’est sanglant à souhait mais sans excès, juste ce qu’il faut pour que l’auteur nous fasse comprendre qu’il ne plaisante pas. Il serait cependant là encore erroné de réduire le personnage à un simple « bourrin » usant de son épée pour dégommer tout ce qui passe à sa portée. Ashok est au contraire un personnage complexe, tout en nuance, et auquel on s’attache finalement assez vite en dépit de sa réputation (on le connaît partout sous le nom de « Cœur de pierre ») et de son fanatisme pour la Loi (qui s’étiole peu à peu). Les personnages secondaires sont pour leur part plus en retraits mais se révèlent bien construis : Jagdish séduit par sa pugnacité et ses capacités à se remettre en question Rada par sa conscience professionnelle, Devedas par sa détermination… Je suis en revanche un peu moins convaincue par Omand, le grand inquisiteur machiavélique qui, certes, fait preuve d’une remarquable habilité politique, mais qui manque malgré tout de finesse et de nuances.

Larry Correia signe avec ce premier tome du « Guerrier oublié » un très bon roman, bien écrit, bien rythmé et mettant en scène un héros plus profond qu’il n’y paraît. L’influence de l’Inde en terme de décor et de système d’organisation sociale est également un plus agréable qui permet à l’auteur de sortir un peu de l’habituel cadre médiéval-européen. Une très bonne surprise, que j’entends bien poursuivre avec la lecture des deux autres tomes.

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Apophis (Le culte d’Apophis)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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