Le photographe de Mauthausen
Titre : Le photographe de Mauthausen
Scénariste : Salva Rubio
Dessinateur : Pedro Colombo
Coloriste : Aintzane Landa
Éditeur : Le Lombard
Date de publication : 2017 (septembre)
Synopsis : Comme beaucoup de ses camarades déportés dans le camp de Mauthausen, Francisco Boix ne pensait qu’à survivre à ce cauchemar éveillé. Mais lorsqu’il croise le chemin du commandant Ricken, esthète nazi des plus pervers, qui prend plaisir à photographier l’horreur, le jeune homme comprend qu’il tient là un témoignage unique. A condition de parvenir à faire sortir les photos du camp… L’histoire vraie d’un témoin à charge du procès de Nuremberg, et de son combat pour la vérité et le souvenir.
Les choses changeront. Un jour ou l’autre, ils nous entendront. Sinon l’histoire se répétera.
Un photographe dans un camp d’extermination
S’il existe déjà de nombreuses bandes dessinées racontant l’horreur des camps de concentration nazis, la plupart des auteurs ont choisi de se focaliser sur le plus grand et le plus tristement célèbre d’entre eux : Auschwitz. Il en va autrement pour Salva Rubio et Pedro Colombo qui nous plongent ici dans l’enfer du camp de Mauthausen au côté d’un certain Francisco Boix. Né 1920 dans un quartier populaire de Barcelone, Francisco s’engage très tôt du côté des Républicains et se voit forcé de fuir l’Espagne lorsqu’ils seront finalement battus par les armées franquistes en 1939. Interné dans un camp de concentration une fois sur le territoire français, le jeune homme est contraint d’intégrer les compagnies de travailleurs étrangers avant d’être finalement capturé par les Nazis. Considérés dans un premier temps comme « prisonniers politiques », Francisco et ses compatriotes sont rapidement recatalogués par le régime nazi : les voilà désormais « Espagnols apatrides » et, de fait, transférés au camps de Mauthausen. Nous sommes au début de l’année 1941, et Francisco Boix y restera pendant quatre ans. Après avoir été mis au travail forcé, le jeune homme échappera à la mort en se faisant embaucher en tant qu’assistant photographe du SS Paul Ricken. Et c’est là que son histoire se distingue de celle de ses compagnons d’infortune, car les modèles du photographe ne sont rien d’autres que les cadavres des prisonniers morts de manière suspecte où ayant été tués pour avoir tenté de s’évader (il ne s’agissait en fait jamais d’évasion mais de mises en scène réalisées par les nazis pour maquiller l’assassinat des prisonniers). Très vite, Francisco comprend que ces photos relèvent d’une importance capitale pour la postérité : ils sont la preuve que les SS savaient parfaitement ce qu’ils faisaient, mais surtout ils sont le témoignage irréfutable du véritable enfer vécu par les détenus de Mauthausen. Déterminé à révéler ces clichés au reste du monde, le jeune homme et ses compagnons vont risquer leur vie pour subtiliser les photographies et les faire sortir du camp. Ce sont elles qui servent de base à l’ouvrage de Salva Rubio et Pedro Colombo qui retracent ici toute l’histoire de ce vol d’une témérité extraordinaire.
Mauthausen : le pire de la barbarie nazie
A l’aide des photographies de Francisco Boix, des témoignages des survivants et des écrits des historiens sur le sujet, les deux auteurs reviennent avec un luxe de détails insupportables sur les conditions de « vie » des prisonniers de Mauthausen. Sont évidemment évoqués les traitements et humiliations quotidiens réservés à tous les détenus : l’appel pendant lequel les prisonniers doivent attendre debout pendant des heures, les violences infligées par les capos, la faim, le froid, la maladie, l’absence d’hygiène, l’épuisement du au travail… Mais on découvre aussi à Mauthausen tout un autre pan de l’atrocité nazie. Construit suite à l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie, le camp est en effet le seul de catégorie III, c’est-à-dire soumis au régime le plus impitoyable et réservé aux prisonniers condamnés à être « exterminés par le travail ». Le lecteur découvre ainsi avec horreur et hébétement l’existence du « mur des parachutistes », un à-pic du haut duquel les prisonniers se jetaient aussi souvent qu’ils étaient poussés, ou encore la carrière et son escalier de 186 marches que les prisonniers devaient gravir encore et encore jusqu’à ce qu’ils meurent d’épuisement ou sous les balles des nazis. Et puis il y a la mort qui peut tomber à tout moment au gré des humeurs et des lubies des SS, ou tout simplement par hasard. A certains, on demande d’ôter leurs vêtements par moins 20°C et de se coucher par terre jusqu’à ce qu’ils meurent de froid. A d’autres, on ordonne d’aller ramasser des fraises ou un objet jeté au loin, et puis on les fusille pour avoir tenté de s’échapper. D’autres encore ont dix minutes pour choisir entre se pendre eux-mêmes ou être battus à mort. Tout cela, Boix en est témoin, aide à le fixer sur la pellicule, et la vue de tous ces corps immortalisés dans des positions humiliantes ou de souffrances (que ce soit en dessin ou en photo) a de quoi donner la nausée. Les manières de mourir à Mauthausen sont légions et le parallèle qu’on ne peut s’empêcher de faire avec les photographies représentants des SS posant tout sourire pour leur famille ou leur petite amie est absolument révoltant.
Des pans méconnus de la Seconde Guerre mondiale
L’ouvrage lève également le voile sur un certain nombre d’événements dont on entend trop peu parler dès lors qu’il est question de la Seconde guerre mondiale. Le protagoniste étant espagnol, les auteurs insistent notamment sur le fait que les Alliés n’ont rien entrepris une fois l’Allemagne battue pour mettre fin à la dictature de Franco, laissant ainsi des milliers d’Espagnols apatrides. On l’oublie bien souvent, mais la lutte contre le fascisme menée par des hommes tels que Francisco Boix commença avant 1939 et se poursuivit bien après 1945 ! La bande dessinée met également en lumière un aspect bien peu reluisant de l’histoire française (dont j’ignorais personnellement tout) : les camps dressés coté français à la frontière avec l’Espagne et dans lesquels les opposants à Franco fuyant la dictature ont été enfermés dès 1939 dans des conditions jugées pires que celles des camps nazis (maltraitance, privation d’eau, de nourriture, d’assistance médicale…). Autre événement majeur mis en scène de manière un peu inhabituelle : le fameux procès de Nuremberg duquel ressort, certes, une volonté de la part des Alliés de punir les principaux responsables, mais aussi et surtout de tourner la page. Le jeune Fransesco en fait ici la triste expérience : personne à l’époque ne veut entendre le détail des horreurs vécues par les survivants des camps. Ses photos n’ont alors d’intérêt pour les jurés que lorsqu’ils révèlent la complicité de tel ou tel nazi. Celles qui soulignent les traitements atroces subis, les meurtres, les tortures… toutes celles-là sont balayées d’un revers de main : circulez, y’a rien à voir ! Ces éléments sont évidemment abordés dans la bande dessinée, mais les deux auteurs nous permettent également d’y revenir en détail dans l’épais dossier historique (une cinquantaine de pages !) qui clôt l’ouvrage. Textes d’historiens de renom, précisions concernant ce qui relève de l’histoire et de la fiction, lexique, et surtout photographies : autant de mines de renseignement qui guident le lecteur après sa plongée éprouvante dans l’enfer de Mauthausen, et qui lui permettent de quitter le registre de l’émotion pour entrer pleinement dans l’analyse. Un mot, enfin, sur les graphismes qui tentent de coller au plus près à la réalité et qui se révèlent aussi agréables à l’œil que possible compte tenu du sujet.
« Le photographe de Mauthausen » met en lumière un personnage et un épisode peu connu de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale et rend un vibrant hommage à tous ces Espagnols qui se sont battus contre le fascisme dans leur pays et dans le reste de l’Europe. Une bande dessinée habilement construite, bien illustrée et surtout remarquablement documentée qu’il serait dommage d’ignorer.
Autres critiques : ?
3 commentaires
Aelinel
C’est une bande dessinée que j’aimerais beaucoup lire. J’ai visité le camp de Mathausen. C’était effroyable. Ce qui est « particulier » encore aujourd’hui, c’est que le camp situé très en dehors du village de Mathausen est très difficile à trouver (très peu de panneaux d’indication), comme si les habitants voulaient l’oublier. En revanche, la muséographie rend très bien hommage aux victimes et dénoncent les conditions de survie effroyables.
Boudicca
Ce doit être très difficile de visiter ce genre d’endroit, personnellement j’aurais peur d’être trop submergée par l’émotion. Mais le travail de ceux qui s’occupent de ce type de musée est remarquable. Si tu connais déjà bien le sujet, je pense que la BD devrait te plaire
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