La migration annuelle des nuages

Titre : La migration annuelle des nuages
Autrice : Premee Mohamed
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2025
Synopsis : Une communauté unie est toujours plus forte face aux inévitables effondrements que l’avenir dessine. Celle d’Edmonton, ville en ruines au cœur du Canada, oscille au jour le jour entre rudesse et recherche d’un meilleur confort. Un équilibre que l’apparition du cad, un parasite semi-conscient qui influence le comportement de son hôte, teinte de drame. La vie ne sera plus jamais comme avant, mais le printemps succède toujours à l’hiver : Reid reçoit une lettre d’admission à l’université, une opportunité inestimable de rejoindre les derniers vestiges du monde révolu. Et peut-être d’accéder à un remède contre le parasite qui la ronge. Sera-t-elle capable de quitter ceux qui l’aiment et qui comptent sur elle ?
Je ne suis pas en colère contre Dieu. Mais mes ancêtres, jadis, ont du l’être. Forcément non ? Voir tout ce qu’ils aimaient, chérissaient, admiraient, s’effondrer autour d’eux ; même si la moitié des catastrophes étaient les conséquences directes de leurs actes, ils ont bien dû se demander pourquoi un dieu avait déclenché le reste, sans intervenir, en gardant le silence. Ici, une ville de plus d’un million d’habitants, où moins d’un pour cent a survécu aux années de ténèbres. Froid, silencieux, sec. Et la première leçon qu’ils ont transmise à leurs enfants : ce n’est pas juste.
Une nouvelle autrice prometteuse
Premee Mohamed est une autrice indo-caribéenne dont l’Atalante a commencé à publier les œuvres depuis quelques mois seulement. Comme pour Phenderson Djeli Clark ou Nghi Vo, la maison d’édition a opté pour de courts romans (moins de deux cent pages) afin de nous permettre de nous familiariser avec le style et l’univers de chaque auteurice. Après avoir été charmée par « Comme l’exigeait la forêt », une réécriture sombre et envoûtante du conte « Hansel et Gretel », je me suis donc penchée sur le reste de sa bibliographie et découvert « La migration annuelle des nuages », sorti en début d’année et presque aussitôt suivi de sa suite « Ce qui se dit par la montagne » (un troisième et dernier tome est à venir). Le roman met en scène une jeune femme, Reid, dont la vie vient de basculer après qu’elle ait reçu une lettre l’informant de son admission à l’univers à laquelle elle avait postulé. Une opportunité incroyable dans un monde post-apo où les humains ne vivent plus qu’en petites communautés autonomes dans les vestiges de notre civilisation actuelle. Cela fait maintenant plusieurs générations que l’effondrement a eu lieu, si bien que Reid ne connaît de notre époque que ce qu’en disent les livres qui ont pu être récupérés. Tout le monde sait en revanche que les plus riches se sont vite mis à l’abri dans leurs luxueux dômes où leurs descendants ont visiblement réussi à survivre puisque c’est désormais là qu’on demande au commun des mortels de postuler pour une éventuelle place à l’université. Mais cette dernière existe-t-elle bel et bien ? Reid peut-elle se permettre de quitter une communauté qui dépend de chacun de ses membres pour sa survie ? Et surtout peut-elle abandonner sa mère qui n’a plus qu’elle ? Voilà les questions qui hantent notre héroïne qui n’a que quelques jours pour rejoindre le lieu de rendez-vous fixé et accepter de quitter le seul endroit qu’elle ait jamais connu.
Partir ou rester
On suit donc le quotidien de Reid au sein de sa communauté le temps de quelques jours, temps qu’elle va devoir mettre à profit pour prendre une décision. Premee Mohamed nous dépeint ici une société qui n’a certes plus grand chose à voir avec celle de maintenant, mais qui n’est pas non plus totalement impuissante. Les humains se sont organisés entre eux pour régler leurs affaires, parviennent tant bien que mal à se nourrir de la terre et de la chasse, et ont réussi à préserver certaines techniques ou outils pré-effondrement. La vie est néanmoins rude et chaque paire de bras compte, d’où la réticence de Reid à quitter son foyer. Un foyer que l’autrice nous dévoile peu à peu, au fil des rencontres ou des activités pratiquées par la jeune femme, et on prend beaucoup de plaisir à suivre ses pérégrinations dans cette communauté débrouillarde mais où tout le monde ne voit pas son admission d’un bon œil. L’atmosphère du roman est assez particulière, pas aussi sombre que dans « Comme l’exigeait la forêt » mais emprunte malgré tout d’une détresse et d’une colère sous-jacentes liées à la fois à la prise de conscience de tout ce qui a été perdu, mais aussi à l’horreur latente éprouvée face au cad. Parmi les responsables de l’effondrement figure en effet ce petit parasite qui se transmet de parents à enfants et dont même les technologies les plus poussées ne sont pas parvenues à venir à bout. Toutes et tous ne sont pas touchés, et ceux qui le sont n’ont pas tous les mêmes symptômes, mais la présence du cad se manifeste généralement par des malformations physiques ainsi que par une influence plus ou moins grande sur le cerveau de son hôte. Et c’est justement ça qui terrifie Reid (et les autres) : ses décisions sont elles influencées par son parasite, et si oui, dans quelle mesure ? Va-t-elle vivre longtemps avec ce compagnon indésirable ou va-t-elle rapidement succomber dans d’atroces douleurs ?
Qu’allons nous transmettre à nos enfants ?
L’autrice nous livre ici une réflexion intéressante sur de nombreux sujets comme le libre-arbitre, la transmission ou encore la fin de l’adolescence, tout en traduisant une véritable inquiétude sur la pente fatale vers laquelle nous nous dirigeons d’un point de vue écologique. Ici pas d’apocalypse spectaculaire ou d’épidémies mortelles lâchées sur la population (le cad est gênant mais non létal) mais un lent déclin condamnant les générations à venir à vivre toujours plus précairement et dangereusement que la précédente. Si j’ai particulièrement apprécié la sensibilité dont l’autrice fait preuve ici ainsi que la qualité de son décor, ce sont surtout les personnages qui m’ont plu. Reid est une adolescente attachante, tiraillée entre sa volonté d’aller de l’avant et d’explorer ce monde qu’elle ne connaît pas mais aussi celle de ne pas abandonner ou faire souffrir les siens. Elle fait preuve d’une grande loyauté envers ceux qu’elle aime tout en ne souhaitant pas sacrifier son avenir et ses aspirations, et c’est ce qui en fait une héroïne aussi attachante à laquelle on s’identifie rapidement. Sa relation conflictuelle avec sa mère est à ce titre très émouvante, de même que l’amitié qu’elle entretient avec un autre adolescent avec lequel elle a grandi. Tous les membres de la communauté croisés au fil de son cheminement sont eux aussi bien campés et donnent à voir un aspect différent de ce monde âpre et rude dans lequel le danger et la violence ne sont jamais bien loin.
« La migration annuelle des nuages » est un court roman signé Premee Mohamed qui met ici en scène une communauté ayant survécu à l’effondrement de notre civilisation et dans laquelle une adolescente va devoir faire un choix difficile. Porté par une héroïne touchante, le récit nous plonge dans un monde cruel et sombre où beaucoup a été perdu mais dans lequel l’autrice parvient à introduire de petites lueurs d’espoir bienvenues. J’ai désormais hâte de lire la suite !
Autres critiques : Célinedanaë (Au pays des cave trolls) ; Les Blablas de Tachan
