Fantasy

La lance de Peretur

Titre : La lance de Peretur
Auteur : Nicola Griffith
Éditeur : Argyll
Date de publication : 2025

Synopsis : Dans la vallée de la Tywi, les profondeurs d’une grotte dissimulent une mère et sa fille aux yeux des hommes. L’enfant a plusieurs noms, bien qu’aucun ne lui appartienne réellement. Lorsque l’appel irrésistible d’un lac lointain pousse la jeune fille à rejoindre le monde extérieur, sa mère lui révèle son véritable nom : Peretur. Avec pour seules possessions une lance volée, une armure cabossée et une monture rachitique, elle entame un long voyage vers la cour de Caer Leon.
C’est là que l’attend sa destinée, étroitement mêlée à celle du légendaire roi Artos et sa quête d’un artefact divin.

Perceval comme vous ne l’avez jamais vu

Fondées en 2020, les éditions Argyll publient depuis des textes de grande qualité et accordent une part importante de leur production aux autrices de tous les horizons, ce qui m’a permis de découvrir au fil des ans de très belle plume à l’image de celle de Jade Song, Margaret Killjoy, Annouck Faure ou encore Sofia Samatar (je vous conseille notamment leur collection de format court « RéciFs » qui vaut le détour). « La lance de Peretur » de Nicola Griffith s’inscrit pleinement dans ce beau paysage littéraire et propose une réinterprétation moderne d’une partie de la légende arthurienne. Tout commence avec cette jeune fille vivant recluse dans la forêt avec sa mère qui l’a mise en garde bien des années auparavant de la nécessité de préserver le secret de leur présence sur ce territoire. Seulement Peretur, curieuse, s’aventure de plus en plus en loin, et ne peut un jour s’empêcher de suivre la trace d’une troupe de chevaliers attaqués par des brigands. Là, elle apprend qu’un roi juste et ambitieux réside à Caer Leon où il s’est entouré d’une poignée de guerriers loyaux et avides de faire respecter l’ordre et la justice d’Artos. A son retour dans la grotte qui lui sert de foyer sa décision est prise : elle va partir et tenter de gagner à son tour le titre de « compagnon » du roi. On suit donc la quête de cette jeune femme qui va rencontrer de nombreux obstacles sur sa route avant de rejoindre Caer Leon où l’attendent des réponses sur son avenir, mais aussi sur son passé. Dotée d’un talent martial indéniable, elle va un à un tenter de déjouer tous ses adversaires, et rencontrer au passage certains des personnages les plus emblématiques de la légende, à l’image de Llanza, Gwenhwyfar, Nimüe ou encore Myrddyn.

Vieille histoire, nouveau regard

Après une longue période au cours de laquelle je me suis gavée de romans consacrés à la « matière de Bretagne » (ce qui m’a permis de découvrir de magnifiques sagas comme celles de Bernard Cornwell ou Stephan Lawhead), j’ai fini par me lasser des récits arthuriens que je trouvais trop redondants ou au contraire trop éloignés du matériaux de base. C’est la raison pour laquelle j’ai longuement hésité avant de me plonger dans le roman de Nicola Griffith qui a toutefois rapidement réussi à m’embarquer car il propose à la fois une réinterprétation féministe originale (et antiraciste, et antiLGBTIphobe, et antivalidiste…, bref tout ce qui met Cnews en PLS), tout en s’appuyant astucieusement sur les différentes sources disponibles pour proposer une aventure palpitante dans l’esprit de ce qui m’avait attirée au tout début. Certains et certaines pourraient à ce stade être échaudés par le caractère ouvertement inclusif du roman (l’autrice explique qu’il s’agissait au départ d’un texte de commande pour une anthologie sur le sujet), mais Nicola Griffith parvient très astucieusement à mettre en avant des personnages handicapés, homosexuels, ou naviguant entre deux genres sans jamais en faire un enjeu quelconque du récit. Peretur (Perceval, vous l’aurez compris…) par exemple, est une jeune femme qui se déguise en homme pour se faire passer pour un chevalier mais qui va rapidement être identifiée pour ce qu’elle est par certains personnages, si bien qu’elle sera « elle » pour certaines, et « il » pour d’autre, sans que cela ne soit un sujet particulier dans l’intrigue. C’est la même chose en ce qui concerne l’un des chevaliers qui souffre d’un handicap, ou le trio Arthur/Lancelot/Guenièvre qui passe d’une histoire de trahison et de vengeance à un polyamour assumé et paisible.

Un récit initiatique efficace

Nicola Griffith dépoussière avec talent le personnage de Pertetur ainsi que les figures les plus emblématiques de la légende arthurienne tout en prenant grand soin de s’inscrire dans la tradition de ceux qui ont, au fil des siècles, abondamment alimentés le mythe. Elle pioche ainsi allègrement chez l’une ou l’autre de ces sources la matière de son roman, et le mélange est des plus réussis. La quête de Peretur reprend les principaux codes du roman d’apprentissage, notre héros devant faire ses preuves en relevant une succession de défis (d’ordre guerriers ou non) avant de se voir octroyer le titre de Compagnon. L’autrice a également agrémenté son récit de références à la mythologie celtique irlandaise, certaines divinités des Tuath Dé jouant un rôle central dans le roman, tout comme leurs artefacts les plus célèbres. L’histoire est relativement courte (à peine deux cent pages) et bien rythmée, si bien qu’on suit avec un intérêt constant les aventures de Peretur qui, bien que se déroulant dans un environnement familier, nous réservent malgré tout de belles surprises. Les personnages sont bien campés, qu’il s’agisse de Peretur à laquelle on s’identifie facilement, mais aussi des personnages secondaires quels qu’ils soient : chevaliers, magicienne, aubergiste, fermier ou fermière et même chevaux. Tous possèdent en effet une profondeur permettant de les incarner efficacement dans l’esprit des lecteurices tout en donnant l’occasion au héros d’être confrontés à des personnalités très différentes qui vont chacune être source de leçon.


Avec « La lance de Peretur » Nicola Griffith se réapproprie la légende de Perceval devenu ici Peretur qu’elle dépoussière avec efficacité pour nous livrer à la fois un bon roman d’apprentissage, une réflexion sur l’inclusivité et la réinterprétation des mythes, et surtout une belle aventure portée par des personnages profonds et attachants.

Autres critiques : Les chroniques du chroniqueur

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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