Chronique des rivages de l’Ouest, tome 1 : Dons

Titre : Dons
Cycle/Série : Chronique des rivages de l’Ouest, tome 1
Autrice : Ursula K. Le Guin
Éditeur : L’Atalante
Date de publication : 2024 (mai)
Synopsis : Dans les collines des Entre-Terres vit un peuple de sorciers capables de miracles. D’un mot, d’un geste, ils allument un foyer, convoquent un animal, guérissent une blessure. Mais ils savent aussi mutiler, corrompre, asservir et tuer. Isolées dans leurs domaines, les familles de ces contrées vivent dans la crainte les unes des autres… Dons est l’histoire d’Orrec ; son héritage est le pouvoir de détruire. Quelle place trouvera-t-il dans ce monde cruel sans laisser sa naissance en décider pour lui ?
Pour bien mener sa vie, il peut être utile d’y voir une histoire qu’on est en train de vivre. Il serait irréfléchi toutefois d’imaginer en connaître à l’avance le déroulement ou la fin. Cela, on ne le sait qu’une fois son existence consommée. Même quand elle est terminée, même quand il s’agit de la vie quelqu’un d’autre, qui vécut cent ans plus tôt, dont j’entends parfois raconter l’histoire, j’espère et j’ai peur comme si j’en ignorais l’issue. Ainsi, je vis ce récit et il vit en moi. C’est le meilleur moyen que je connaisse de tromper la mort.
Parenthèse bucolique
C’est sûrement idiot mais il y a des auteurs et autrices auxquels j’ai toujours eu peur de me confronter : leur œuvre me paraît trop grande (souvent), trop datée (parfois), bref, je ne sais pas vraiment par quel bout commencer et j’ai inévitablement peut d’être déçue. Ursula K. Le Guin est de ces autrices que je considère comme intimidante et que je n’avais jusqu’à présent eu l’occasion de découvrir que par le biais d’un roman, « Lavinia », mais dont le reste de la bibliographie me demeurait inconnu. La réédition l’an dernier par les éditions L’Atlante de sa trilogie « Chronique des rivages de l’Ouest » m’a finalement permis de sauter le pas et d’enfin entamer ma découverte de cette autrice considérée comme l’une des plus brillantes de la fantasy américaine (merci au passage aux magnifiques couvertures de Shahzeb Khan Raza qui ont contribué à me faire céder à la tentation). « Dons » est donc le premier tome d’une trilogie et met en scène un adolescent vivant dans les collines des Entre-Terres. Là, plusieurs clans cohabitent en plus ou moins bonne entente, même si des rivalités entre chefs éclatent de temps à autre pour des questions de bétails ou de territoires. Chaque clan possède toutefois une particularité qui se manifeste sous la forme d’un don plus ou moins puissant possédé par la lignée de celui ou celle qui gouverne appelé brantor. Ce don peut prendre des formes très diverses : il peut permettre de tisser un lien particulier avec les animaux, de détecter une maladie, mais aussi de tuer, d’asservir ou de mutiler le corps et l’âme. Orrec, lui, est le fils du brantor de Caspromant dont le pouvoir est de défaire les choses ou les êtres. Un pouvoir qui devrait normalement lui avoir été transmis, mais qu’il ne parvient toujours pas à maîtriser à l’adolescence. Un événement va toutefois ébranler ses certitudes et l’obliger à se bander les yeux de peur de faire du mal à ceux qu’il aime, le contraignant à une cécité difficile à vivre pour un jeune garçon.
Trouver sa place
Ce premier tome consiste donc en une chronique au cours de laquelle Orrec va nous raconter sa vie dans l’Entre-Terre, des choses les plus anodines de son quotidien aux grands enjeux liés aux luttes de pouvoir entre les clans. Si le roman a été étiqueté « jeunesse » lors de sa première parution (sans doute parce qu’il mettait en scène un adolescent), il me paraît plutôt correspondre à un lectorat plus âgé en raison de son caractère presque contemplatif. Ce n’est pas qu’il ne se passe rien, au contraire, seulement les événements relatés décrivent le quotidien d’un petit village de campagne, rythmé par le passage des saisons, le soin aux bêtes, la chasse, l’entretien du domaine ou encore les querelles et inimitiés avec les voisins. Loin d’être ennuyeuse, cette plongée bucolique se révèle au contraire très agréable et m’a beaucoup fait penser au roman « Pierre-de-vie » de Jo Walton, que j’avais beaucoup aimé également. L’intérêt que l’on porte à l’histoire vient, d’abord, des personnages qui sont tous extrêmement bien campés et auxquels on s’attache rapidement. Orrec est un adolescent avide de complaire à son père et sans cesse soucieux de ne pas être à la hauteur, si bien que sa modestie et sa vulnérabilité parviennent sans mal à toucher le cœur des lecteurices. Celles et ceux qui gravitent dans son entourage sont tout aussi marquants, qu’il s’agisse de son amie d’enfance, de sa mère, mais aussi de son père, plus rude d’aspect. Cet attachement porté aux personnages permettent à l’autrice de limiter les rebondissements et les grands effets, puisqu’on accorde finalement autant d’importance aux luttes de pouvoir entre clans qu’à l’évolution des relations entre le héros et ses proches ou encore qu’à son apprentissage douloureuse de la cécité. Un récit intimiste, donc, mais qui permet à l’autrice d’interroger en filigrane des notions telles que la liberté ou le pouvoir, et de mettre avant les capacités réparatrices des histoires.
« Dons » est le premier tome de la trilogie « Chronique des rivages de l’Ouest » et met en scène un adolescent condamné à la cécité pour protéger les siens des effets destructeurs de son pourvoir. Le décor bucolique qui sert de cadre au récit et le caractère presque contemplatif de l’oeuvre font de cette lecture une sorte de parenthèse enchantée de laquelle on ne sort qu’à regret. Me voilà donc rassurée sur ma compatibilité avec l’œuvre d’Ursula Le Guin, aussi vais-je à présent me pencher sérieusement sur le reste de sa biographie.
Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3
Autres critiques : ?

Un commentaire
Tachan
Comme je me retrouve dans ta chronique.
Ursula le Guin mintimide aussi et ce sont ces belles couvertures qui m’ont permis doser me relancer après une lecture mitigée
J’en ai adoré le côté contemplatif et philosophique.