Fantasy

L’âge de la folie, tome 3 : La sagesse des foules

Titre : La sagesse des foules
Cycle/Série : L’âge de la folie, tome 3
Auteur/Autrice : Joe Abercrombie
Éditeur : Bragelonne
Date de publication : 2023 / 2024 (poche)

Synopsis : Certains disent que pour changer le monde, il faut d’abord l’incendier. Une théorie en passe d’être vérifiée dans le creuset de la révolution : les Casseurs et les Incendiaires ont pris les leviers du pouvoir et la fumée des émeutes remplace celle des cheminées. Désormais, tout sera soumis à la sagesse des foules. N’ayant plus rien à perdre, le Citoyen Brock veut devenir le héros d’un nouvel âge. La Citoyenne Savine, elle, doit se reconvertir, passant de la quête du profit à celle de la survie, avant de, peut-être, se frayer un chemin jusqu’à la rédemption. Quand le monde s’inverse, comme le découvre Orso, personne ne se retrouve plus bas sur l’échelle sociale qu’un monarque. Dans le Nord, Rikke et son fragile Protectorat perdent chaque jour des alliés. Pendant ce temps, Calder le Sombre rassemble ses troupes et prépare sa vengeance. L’étendard de l’Union est en lambeaux… et le Tisserand, en coulisse, continue à ourdir son plan impitoyable.

La révolution en marche

Si vous aimez la dark fantasy, alors les romans de Joe Abercrombie sont faits pour vous ! L’oeuvre de l’auteur est d’autant plus appréciable que la plupart de ses ouvrages s’inscrivent dans un même univers et à des temporalités souvent assez proches, ce qui permet constamment d’en étendre les limites et d’en renforcer la complexité. La trilogie « L’âge de la folie » est ainsi la suite de celle qui l’a fait connaître, « La première loi », dont on retrouve en partie les protagonistes ainsi que leurs descendants : la fille de l’Insigne Lecteur Glotka et d’Ardee, celle du Nordique Renifleur, le fils de Jezal et Terez, ou encore celui de Finree dan Brock. Si vous avez également eu l’occasion de lire les trois one-shot parus dans le même univers (« Pays rouge » ; « Les héros » et « Servir froid »), vous allez également reconnaître une belle brochette de personnages secondaires. [Attention SPOILER : Si vous n’avez pas lu les deux premiers volumes, je vous suggère de passer directement au paragraphe suivant au risque de vous voir révéler certains pans de l’intrigue.] Ce troisième et dernier tome met en scène une Union moribonde voyant ses conquêtes extérieures remises en cause, et en proie à une véritable guerre civile. Loin de calmer les esprits, la répression sanglante de la révolte populaire de Valbeck n’a fait que renforcer la conviction chez les classes populaires qu’un changement de régime était non seulement souhaitable mais désormais possible. La victoire inattendue du roi Orso face à la révolte orchestrée au même moment par les nobles du royaume menés par le charismatique Léo dan Brock et la redoutable Savine n’est pas parvenue non plus à mettre un terme aux velléités de rébellion des mécontents. Voilà donc tous nos protagonistes entraînés plus ou moins malgré eux dans cette révolution inespérée qui va venir balayer leurs plans pour l’avenir et remettre en cause leur position sociale. La naissance d’une nouvelle Union ne se fait toutefois pas sans douleur, et ce d’autant plus que les deux principales factions révolutionnaires, les Casseurs et les Incendiaires, n’ont pas du tout la même vision de la suite du programme…

Cynisme et politique

Chaque roman de Joe Abercrombie est toujours un festival de batailles sanglantes, de trahison et de cynisme. « La sagesse des foules » coche une fois encore toutes ces cases et pousse même chacun de ces aspects à son paroxysme, au risque d’en faire trop. Politiquement, la ligne de l’auteur pourrait se résumer dans toutes ses oeuvres à « tous pourris », celles et ceux qui exercent le pouvoir étant généralement présentés sous un jour peu flatteur, se montrant tour à tour cruels, arrogants ou stupides et ne devant leur position qu’au hasard de leur naissance. Seulement cette fois, ce ne sont plus les nobles qui font la loi : l’assemblée est désormais composée d’individus issus des classes populaires forcément plus au fait des réalités et de la dureté des conditions de vie du citoyen lambda dans cette société pré-industrielle en pleine expansion. Fidèle à lui même, Abercrombie opte malgré tout pour le même credo : « tous pourris ». Ce n’est donc pas parce que le régime qui s’instaure se veut plus démocratique que les personnes qui prennent les décisions sont plus malins ou moins cyniques que les nobles qui les ont précédés. La révolution telle que dépeinte par l’auteur a ainsi tout d’une véritable farce, une sorte de « Terreur » revisitée et amplifiée puissance mille, quitte parfois à frôler le ridicule. On frise en effet l’overdose à la lecture de ces exécutions à la chaîne et de ces discours sans queue ni tête qui n’ont pour unique but que de démontrer que n’importe quel régime, même le mieux intentionné, ne peut conduire qu’à la domination du plus grand nombre. Le roman d’Abercrombie parle ainsi énormément de politique, mais au sens le moins noble du terme. Pas d’idéologie ou de prise de position mais des petits arrangements entre puissants agissant par pur opportunisme et cachant une vacuité idéologique assez navrante. Ce manque de positionnement et ce signe égal posé entre dominants et dominés m’a pour ma part dérangé, même si cela ne m’a pas empêchée d’être emportée par la force narrative du récit.

Un conteur hors pair

L’auteur reste en effet un conteur hors pair, multipliant les coups de théâtre de façon magistrale, ce qui rend la lecture de ces quelques huit cents pages extrêmement dynamique. Il y a peu, voir pas de temps mort, et on prend autant de plaisir à suivre le déroulé des événements de la capitale où la révolution suit son cours, que ceux du Nord où une nouvelle lutte de pouvoir s’engage entre l’ancienne et la nouvelle génération. Le roman séduit aussi, et presque surtout, par la qualité de ses personnages, acteurs et actrices de premier plan aussi bien que seconds couteaux. Abercrombie convoque une fois encore une galerie de personnages inoubliables, qu’on les aime ou qu’on les déteste, et parvient à nous faire nous soucier du sort de chacun d’entre eux. On les voit changer, aussi, et pas qu’un peu, au fur et à mesure que le contexte politique évolue et que les épreuves ou les opportunités s’accumulent. La plupart des protagonistes opèrent même une véritable bascule, certains devenant plus lumineux et parvenant à se racheter en partie tandis que d’autres, au départ relativement sympathiques, basculent carrément du côté obscure. Les personnages au second plan sont au moins aussi intéressants que les protagonistes et offrent de belles surprises, même Abercrombie ne résistant pas à quelques happy-end disséminés ici et là dans un océan de noirceur.

Avec « L’âge de la folie » Joe Abercrombie nous offre une suite dans la droite lignée de sa trilogie « La Première Loi », à base de batailles chaotiques, de duels sanglants, de magouilles politiques, et de punchlines désopilantes. Pas de doute, on est bel et bien dans de la dark fantasy, où tout le monde est un traître ou un salaud en puissance et, si les événements relatés sont loin d’être roses, on prend énormément de plaisir à en suivre le déroulement, le rythme restant enlevé du début à la fin de ces trois gros pavés.

Voir aussi : Tome 1 ; Tome 2

Autres critiques :  ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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