Science-Fiction

La pierre jaune

Titre : La pierre jaune
Auteur/Autrice : Geoffrey Le Guilcher
Éditeur : La Goutte d’or / Folio SF
Date de publication : 2021 / 2022

Synopsis : Presqu’île de Rhuys, Bretagne, 2024. Un jour pluvieux, Jack Banks, policier britannique hanté par ses vies antérieures, débarque au lieu-dit de la Pierre jaune. Sa mission : infiltrer une communauté d’activistes anarchistes et écologistes radicaux, les « Jauniens ». Mais le plan ne se déroule pas comme prévu. À trois cents kilomètres de là, deux avions percutent l’usine nucléaire de La Hague, plongeant une partie de la France et de l’Angleterre dans le chaos. Pluies acides, radioactivité, l’état d’urgence mondial est déclaré et la Bretagne compte parmi les zones à évacuer. Les Jauniens décident de rester sur leur presqu’île. Au nom d’un motif inavouable, Jack les imite. Une étrange survie en zone radioactive débute.

Tchernobyl au cœur de l’Europe

Bretagne. 2024. Un policier anglais infiltré depuis quelques jours au sein d’un groupe anarchiste suspecté d’abriter des individus violents voit sa missions compromise par un événement totalement inattendu. A plusieurs centaines de kilomètres de la petite ZAD de la Pierre jaune, des terroristes prennent le contrôle de deux avions et les font s’exploser non pas cette fois sur des tours contenant des bureaux, mais sur l’usine nucléaire de La Hague, comportant quatre piscines géantes. L’incident provoque immédiatement la panique, vite jugulée toutefois par les états français et anglais (La Hague se trouve à 300km de Paris comme de Londres) qui tentent de rassurer et organisent l’évacuation d’une partie de leur territoire. Parmi les zones à risque figure justement la Bretagne, et donc le terrain occupé par les « Jauniens ». Ces derniers refusent toutefois de bouger et, poussé par son supérieur de poursuivre sa mission en raison de la présence sur place d’un terroriste anarchiste qui pourrait potentiellement servir de bouc-émissaire, Jack Banks fait le choix de rester lui aussi. Très vite, il faut s’organiser, aussi bien pour échapper aux pluies acides que pour éviter tout contact avec ce qui a pu être contaminé par les radiations, mais aussi trouver de quoi se nourrir, s’hydrater, et se chauffer. Les choses vont toutefois se compliquer lorsque, suite à des vidéos jugées provocantes réalisées sur place, l’armée débarque avec pour mission de nettoyer la zone. A toutes ces difficultés s’ajoute la nécessité pour le protagoniste de ne pas voir sa couverture exposée, ce qui s’avère d’autant plus difficile que la précarité de leurs conditions de vie le pousse à se rapprocher de plus en plus de ceux qu’il est censé trahir.

Chroniques d’une France sous les radiations

Le roman décide donc d’explorer l’hypothèse d’un accident nucléaire d’une ampleur inégalée puisque Geoffrey Le Guilcher a choisi de retenir ici le scénario le moins catastrophiste en cas d’endommagement de l’usine nucléaire de La Hague. Une hypothèse basse qui équivaut tout de même à plus de six fois Tchernobyl (quand une fourchette haute établie au début des années 2000 par un rapport commandé par le Parlement européen estime que les émissions radioactives pourraient équivaloir à 66 fois celles de Tchernobyl). La documentation réunie ici par l’auteur (par ailleurs journaliste de profession) est impressionnante et lui permet de dresser un scénario plausible et donc d’autant plus effrayant. Le récit s’attarde ainsi sur toutes les phases par lesquelles les états et les populations environnantes seraient vraisemblablement à même de passer. L’auteur décrit l’effroi et la panique qui règne dans les premiers temps, puis les décisions prises par les gouvernements à l’échelle mondiale pour tenter de préserver leurs populations. Les réactions probables de ces dernières sont elles aussi bien décrites, la détresse suscitée par l’événement ne manquant pas de rendre les gens sourds aux prudentes recommandations et aux tentatives d’évacuations échelonnées de l’état. C’est cette plausibilité de la situation dépeinte qui rend le roman aussi captivant, d’autant qu’il fournit également quantité d’informations concernant les conséquences directes, à court terme, des retombées radioactives. On en apprend par exemple beaucoup sur les effet que ces radiations peuvent avoir sur notre corps ou encore sur la façon dont on peut tenter de s’en protéger pour éviter le pire. De quoi évidemment alimenter notre réflexion sur la place du nucléaire dans notre société et sur le bien fondé de poursuivre sur cette voie.

Un récit inégal

Là où le bât-blesse, c’est en ce qui concerne l’intrigue qui, elle, n’est pas toujours à hauteur du décor. L’auteur a choisi ici de mettre en scène deux milieux et deux façons de voir le monde qui semblent totalement s’exclure, avec d’un côté le point de vue du policier britannique infiltré partisan de l’ordre, et de l’autre celui d’un groupe d’anarchistes un peu amateurs mais animés par l’envie de vivre libres et de ne plus se plier aux injonctions de la société. Le problème, c’est que l’attitude et le regard emprunt de mépris que le héros porte sur les Jauniens rend pendant une bonne partie du roman difficile de s’attacher à l’ensemble personnages : Jack parce qu’il apparaît comme quelqu’un de froid et manipulateur et que la vision pour le moins caricaturale qu’il a des anarchistes incite à le considérer comme une sorte de petite brute dénuée de finesse ; les Jauniens parce qu’ils sont dépeints comme une bande d’amateurs un peu timbrés mêlant des profils types punk à chiens sale et vulgaire, illuminée partant dans des trips spirituels, ou encore fou furieux avide de violence. Les personnages gagnent heureusement peu à peu en nuance et en complexité, mais on éprouve tout de même quelques difficultés à se défaire de cette première impression négative. La principale critique que l’on peut formuler à l’encontre du roman réside cela dit à mon sens dans la construction de l’intrigue qui donne trop souvent l’impression de n’être là que pour servir l’exploitation par l’auteur de ce scénario d’accident nucléaire. Le fil rouge du récit est finalement assez mince et ne passionne pas tellement, la preuve en étant fournie par la conclusion totalement bâclée qui met fin à l’histoire. Enfin, j’ai eu beaucoup de mal avec plusieurs scènes assez crues, notamment une en particulier consacrée à la violence exercée par les militaires : un passage sordide au possible duquel j’ai eu beaucoup de mal à venir à bout et dont je ne suis pas convaincue de l’intérêt.

Premier roman du journaliste indépendant Geoffrey Le Guilcher, « La pierre jaune » est un roman exploitant le scénario plus qu’envisageable d’un attentat nucléaire sur le site de l’usine nucléaire de La Hague. Remarquablement documenté, l’ouvrage séduit par la crédibilité de son décor ainsi que par les questionnements qu’il pose concernant la place du nucléaire dans notre politique énergétique et les risques qu’il nous fait tous encourir. L’intrigue et les personnages ne sont toutefois pas toujours à la hauteur, ce qui a tendance à progressivement émousser l’intérêt du lecteur.

Autres critiques : ?

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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