Storyville – L’école du plaisir
Titre : Storyville – L’école du plaisir
Scénariste: Laurianne Chapeau
Dessinateur/Dessinatrice : Loïc Verdier
Éditeur : Glénat
Date de publication : 2023 (septembre)
Synopsis : « Et rappelez-vous mesdames, vous n’êtes pas condamnées à vous allonger sans plaisir… »
-De là où je me situe, Santa, les gars viennent faire ici ce qu’ils ne peuvent pas faire chez eux.
-Justement ! Avec ce qu’on leur apprendrait ici, on pourrait être le premier bordel au monde à œuvrer pour la paix des ménages. Ils réaliseraient que leur femme n’est pas si différente de leur putain. Ce serait formidable pour les putes, et pour les femmes en général. Plus de respect pour les premières, et plus de liberté pour les autres ! Et un droit au plaisir !
Le plaisir féminin au centre de l’intrigue
Nouvelle-Orléans. 1917. Une jeune femme vivant avec ses deux frères plus âgés vibre de les entendre parler avec enthousiasme de Storyville, le quartier des plaisirs de la ville, et notamment du bordel « Make love to me », tenue par la réputée Madame Lala. Bien qu’encore inexpérimentée en la matière, Santa se prend à rêver de volupté et pose un regard admiratif sur les prostituées qui y exercent, enviant leur liberté et le désir qu’elles sont capables de susciter. Tout bascule lorsque ses frères décèdent soudainement d’une malade vénérienne vraisemblablement contractée auprès des filles de Madame Lala. Bien décidée à les venger, la jeune femme s’introduit dans le bordel afin d’en tuer la tenancière, mais est rapidement découverte. Embauchée comme femme de ménage, elle va côtoyer au plus prêt ce lieu sur lequel elle entretenait tant de fantasmes, et surtout ses pensionnaires dont elle se familiarise avec le quotidien. Très vite, il apparaît que le plaisir, pourtant au cœur de la représentation que Santa se faisait du bordel, n’a que peu de rapport avec ce qui se passe dans les chambres à l’étage du « Make love to me ». Pour y remédier, la jeune femme va entraîner les pensionnaires dans un projet fou : dispenser des cours sur le plaisir féminin aux habitués de l’établissement, voire même pourquoi pas à leurs épouses… Et voilà comment un bordel se transforme en école du plaisir et fait souffler un vent de liberté bienvenue dans les relations hommes/femmes tout en libérant la parole des femmes sur leur propre sexualité.
Montrer la violence, encourager l’émancipation
L’album est original et résolument féministe puisqu’il pointe du doigt le manque de connaissance général sur l’appareil génital féminin et sur la façon dont les femmes peuvent éprouver du plaisir pendant l’acte. Lauriane Chapeau traite le sujet de manière astucieuse, alternant entre gravité par le biais de scènes difficiles qui ne cherchent pas à occulter la violence quotidiennement subie, mais aussi légèreté, l’ouvrage accordant une large place à l’humour. Les personnages sont construit sur le même modèle dans la mesure où elles sont pour la plupart confrontées à des épreuves difficiles ou des comportements violents, ce qui ne les empêche pas de déborder d’enthousiasme, de joie et d’idées. Santa, notamment, est un protagoniste particulièrement attachant de part sa naïveté mais aussi son envie de changer les choses et de bousculer l’ordre établi. Les graphismes sont pour leur part réussis et renforcent régulièrement le ton humoristique de l’album grâce aux expressions franchement comiques de certains personnages. Les couleurs ont également une grande importance, chaque scène se retrouvant baignée dans une lumière qui permet de poser l’ambiance, tantôt d’un vert glauque ou d’un bleu sombre inquiétant, tantôt d’un rose ou d’un jaune pétant qui servent à illustrer des moments d’émancipation ou de camaraderie particulièrement touchants.
« Storyville » est une bande dessinée très réussie qui relate la transformation d’un simple bordel de la Nouvelle-Orléans en véritable école du plaisir ainsi que le vent émancipateur que cette trouvaille fait souffler sur les femmes et les couples des environs. Très coloré, l’album séduit aussi bien par son atmosphère chaleureuse que par son humour qui permettent de faire passer un message féministe et d’aborder la question encore trop taboue du plaisir féminin.
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