Witch World – Le cycle de Simon Tregarth [Intégrale]
Titre : Witch world [Intégrale]
Auteur : André Norton
Éditeur : Mnémos
Date de publication : 2023 (1963 et 1964 pour la version originale)
Synopsis : Witch World, le Monde ensorcelé ! Simon Tregarth, un ancien soldat, se retrouve perdu à tout jamais dans cet étrange monde au passé infini où magie et science se livrent une lutte acharnée.
En entrant au service des sorcières d’Estcarp dont le pouvoir est menacé par les terribles Kolderiens, Simon, épaulé par les vaillants Fauconniers et aidé de Jaelithe, l’amour de sa vie, changera à tout jamais la destinée du Monde ensorcelé. Witch World est l’une des sagas fondatrices de la fantasy. Cette œuvre romantique et magique, où des femmes indépendantes jouent un rôle déterminant, est enfin publiée dans une édition complète et dans une nouvelle traduction.
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Retour sur un classique de la fantasy des années 60
Paru pour la première fois dans les années 1960, la série « Witch world » est l’œuvre d’André Norton, une autrice américaine particulièrement en vogue pendant toute la seconde moitié du XXe siècle, et dont les éditions Mnémos proposent aujourd’hui une réédition. L’ouvrage regroupe deux livres (« Le Portail » et « L’emprise ») qui mettent en scène le personnage de Simon Tregarth, un ancien soldat originaire de notre monde mais qui, pour fuir de puissants ennemis à propos desquels l’autrice ne s’étend pas, est amené à traverser un portail menant vers un tout autre univers que le notre. Là, notre héros va croiser par hasard la route d’une sorcière qui va l’entraîner au pays d’Estcarp, territoire dirigé par des femmes dotées de pouvoirs magiques et dont l’intégrité est menacée par ses puissants voisins, les royaumes de Karsten et d’Alizon qui préparent depuis des années leur invasion. Doté d’une solide expérience de la guerre et plein de ressources, Simon va très vite s’intégrer dans ce monde abritant de puissantes formes de magie et va même se révéler indispensable au royaume d’Estcarp auquel il propose ses services. Son aide est acceptée avec d’autant plus de diligence que, à l’ouest, une autre menace se dévoile peu à peu : une force d’invasion dotée de puissants artefacts dont le niveau de technologie est étrangement supérieur à ce que le nouveau monde de Simon a jusqu’à présent été capable de produire. Le pitch est relativement classique et le roman coche toutes les cases attendues de ce type de fantasy : portails magiques, combats héroïques, histoire d’amour contrariée, rencontre avec des peuples ou espèces possédant leurs propres spécificités… L’intrigue est bien rythmée et nous balade à différents endroits de la carte, ce qui permet à l’autrice d’enrichir son univers au fur et à mesure des pérégrinations du héros. Ces dernières nous offrent de beaux moments d’action puisque le chemin de Simon et de ses compagnons va être amené à croiser sans arrêt la route des Kolderiens, ces mystérieux envahisseurs aux capacités surprenantes. Là où l’histoire trouve ses limites, c’est justement dans la redondance de cette confrontation entre Estcarp et Kolder puisque, quelque soit le problème rencontré par le héros, on devine rapidement que ce sont toujours les mêmes qui se cachent derrière les attaques fomentées contre les sorcières et leurs alliés.
Des femmes, oui, mais écrites comment ?
Le roman n’a donc rien d’original aujourd’hui en terme d’intrigue, mais l’introduction signée par l’autrice Mercedes Lackey permet de bien mesurer à quel point ce récit a pu être considéré comme précurseur à l’époque de sa sortie. Parmi les aspects de ce récit perçus comme novateurs figure évidemment le choix de mettre en scène une société matriarcale et, plus largement, celui d’accorder aux femmes une place aussi importante dans l’intrigue. Seulement beaucoup d’eau a coulé entre les années 1960 et aujourd’hui, si bien que le traitement des personnages féminins proposé ici paraît au contraire particulièrement daté. Certes, Estcarp est présenté comme dirigé par des femmes, mais dans les faits on voit bien peu ces sorcières qui délèguent la protection du royaume aux hommes. Or, c’est auprès de ces derniers que l’on passe l’essentiel de notre temps, et ce sont eux qui, de fait, prennent les décisions cruciales sur le terrain concernant la stratégie à adopter ou la façon de gérer les troupes. L’origine de leur magie ne manque elle aussi pas de faire tiquer puisqu’elle est évidemment liée à leur pureté, et donc à leur virginité. Les personnages féminins mis sur le devant de la scène n’échappent pas quant à eux aux principaux stéréotypes de genre qu’on rencontre dans de nombreuses œuvres de fantasy (et pas que). La sorcière que Simon va croiser (on ne connaît pas son nom pendant une bonne partie du roman) est ainsi présentée comme une puissante magicienne mais passe son temps à se faire capturer, et sa libération nécessite évidemment toujours l’intervention d’un tiers, qui est généralement notre héros. La seconde figure féminine importante du roman est l’héritière de Verlaine, un petit royaume possédant une importance stratégique pour Estcarp comme pour Karsten. Déterminée et indépendante, la jeune femme séduit dans un premier temps par sa volonté de ne pas se conformer au rôle de potiche qu’on lui a assigné. L’autrice insiste bien également sur son physique tout à fait banal et presque ingrat, ce qui change il est vrai des sempiternelles bombes capables d’accrocher le regard de n’importe quel mâle croisant leur chemin. Le second livre balaye toutefois une partie du travail réalisé avec ce beau personnage, Loyce devenant alors prompte à des crises de panique ou fondant en sanglots dès lors qu’elle se retrouve soumise à une situation dangereuse.
Une belle aventure mais un petit côté désuet
Heureusement, Simon est là pour tout régler. Il est bien sympathique, Simon, avec son sang-froid, sa vivacité d’esprit et sa facilité à se lier avec les autres. Sympathique mais fade. On a typiquement affaire au héros passe-partout, presque transparent parfois, dans une tentative louable mais, à mon sens, peu efficace, de permettre à tous les lecteurs de mieux se glisser dans la peau du personnage. C’est un peu l’archétype du super-héros : c’est un leader né qui sait toujours comment réagir, il parvient à lui tout seul à venir à bout de problèmes jusqu’ici insolubles, il est apprécié de tout le monde, bref, c’est le gars parfait que tout le monde voudrait avoir dans son camp. Ce n’est pas désagréable, loin de là, seulement on est désormais davantage habitué aux personnages tourmentés, ou du moins pas irréprochables, aussi cet aspect là vient-il renforcer encore davantage l’impression que l’on a affaire à un récit quelque peu démodé. On peut d’ailleurs étendre le reproche aux choix qui sont opérés concernant l’univers évoqué, certains aspects étant totalement passés sous silence alors qu’on se serait justement attendu à ce que l’autrice nous fournisse des explications sur le sujet. C’est le cas notamment en ce qui concerne le fonctionnement de la magie des sorcières qui, de l’avis même des intéressées, est totalement opaque et n’intéresse vraiment aucun des personnages. C’est magique, c’est tout. Il en résulte une absence de profondeur générale qui limite l’immersion dans cet univers certes agréable à arpenter mais qui sonne finalement un peu creux.
« Witch world » est une œuvre parue initialement dans les années 1960 et qui, à l’époque, a durablement marqué les lecteurs en raison du caractère novateur de certains choix réalisés par l’autrice André Norton. Soixante ans plus tard, force est de constater que la série de l’autrice a un peu vieillie, notamment en ce qui concerne le traitement de ses personnages puisque les romans sont construits à la fois sur l’archétype aujourd’hui dépassé du héros parfait, mais aussi et surtout sur des stéréotypes de genre qui ne passent plus. On prend malgré tout plaisir à suivre le périple de Simon Tregarth dans ce monde plein de magie et en proie à une invasion étrangère impliquant des technologies avancées, quant bien même l’intrigue a tendance à devenir redondante et à occulter certains aspects par facilité.
Autres critiques : ?
2 commentaires
Rouquet Jean-Claude
Bonjour Boudicca,
Je vous vois bien amère par cette réédition en raison de son aspect simpliste, vieillie. Débutée en 1963, il a fallut attendre le milieu des années 1970 pour découvrir certains des titres dans la collection…. Pocket Jeunesse.
Vous pensez bien que proposer aux 10/15 des romans de cette naure, necessite une traduction VF prudente. D’ailleurs, cette excellente collection,
a permis à de jeunes lecteurs de s’initier aux littératures de l’Imaginaire. Renforcée plus tard par leur collection ”le livre dont vous êtes le héros ”. Votre regard d’adulte s’en est il troublé. Il semblerait, cela mériterait à être vérifié, qu’il s’agisse, parfois, par roman d’un assemblage de nouvelles. Dans cet univers de Witch World.
Le principal n’est-il pas de faire lire, comme les rééditions de ”La patrouille du temps” de Paul Anderson.
Et pour l’aspect machisme, je renvoie toujours à la lecture de la trilogie de Jack Vance, le cycle de Tschaï. Un classique, non ?
Boudicca
Je comprends tout à fait les raisons pour lesquelles ce roman a pu plaire aux lecteurs dans les années 1960-70, il s’agit d’une histoire sympathique avec de beaux moments de bravoure et d’aventure. Seulement il me semble aussi important de pointer du doigt les quelques éléments qui ne manqueront pas de troubler le lecteur d’aujourd’hui, et ce quelque soit le type de public visé par l’ouvrage lors de sa sortie. Mais il est clair qu’on pourrait également faire certains des reproches formulés ici à certains classiques en effet 🙂