Vertèbres
Titre : Vertèbres
Auteur : Morgane Caussarieu
Éditeur : Au Diable Vauvert
Date de publication : 2021 (octobre)
Synopsis : 1997. Petite station balnéaire des Landes. Jonathan, dix ans, vient d’être kidnappé. On le retrouve une semaine après sur une aire d’autoroute. Sa mère peine à le reconnaître : bien des choses ont changé en lui, la plus déroutante étant l’apparition d’une vertèbre supplémentaire…
…
Nouvelle incursion dans le fantastique pour Morgane Caussarieu
Habituée au fantastique grâce auquel elle s’est penchée à plusieurs reprises sur la figure du vampire (« Rouge Venom » ; « Rouge Toxic » ; « Je suis ton ombre »…), Morgane Caussarieu publie en cette fin d’année 2021 un nouveau roman qui s’inscrit parfaitement dans le genre mais propose cette fois d’explorer le mythe du loup-garou. Tout commence dans un paisible village balnéaire des Landes, à la fin des années 1990. Là, le lecteur fait la connaissance de Sacha, une enfant de dix ans très en marge du reste de la communauté (tant en raison de son milieu social défavorisé que de son attitude volontairement provocatrice) mais qui peut heureusement compter sur ses deux meilleurs amis, eux aussi peu populaires parmi les enfants du village : Brahim (car pauvre et arabe) et Jojo (car souffreteux et obèse). Le petit monde de la jeune fille va toutefois voler en éclat lorsque l’un de ses deux compagnons de jeu va être enlevé par une mystérieuse femme à barbe. La détresse de Sacha n’est toutefois rien en comparaison de celle de la mère du garçon, Marylou, qui est le second protagoniste de cette histoire. Une semaine après sa disparition, Jonathan refait finalement surface, au plus grand soulagement de tout le village et de ses proches. Sauf que le garçon est méconnaissable : mutique, il a perdu une quantité de poids impressionnante en seulement quelques jours et également gagné une vertèbre supplémentaire. Désireuse de protéger son petit des rumeurs et d’éventuelles investigations du corps médical, Marylou va isoler son fils et assister, impuissante, à sa transformation en une créature bien différente du petit garçon qu’elle couve furieusement depuis sa naissance. Relativement court, le récit est bien rythmé et porté par une écriture dynamique, si bien que la lecture s’effectue en un temps record. Le mode de narration choisi participe de cette envie de tourner encore et encore les pages puisque l’autrice opte pour deux méthodes différentes en fonction de ses héroïnes. Ainsi, Sacha, la petite fille de dix ans, s’exprime à la première personne et s’adresse à son journal intime, tandis que le point de vue de Marylou, la mère de Jonathan, nous est rapporté à la deuxième personne du singulier. Or, autant la première forme de narration est plutôt classique et trouve vite ses limites, autant la seconde se révèle plus originale et percutante.
Des personnages ambivalents et vulnérables
La personnalité des deux héroïnes mises en scène ici participe également au plaisir de lecture et interpelle inévitablement le lecteur qui éprouve pour elles des sentiments ambigus, fait d’empathie en raison de leur flagrante vulnérabilité et de réprobation devant certains de leurs choix pour le moins discutables. Sacha est ainsi une enfant très attachante sous ses airs de petits durs et ses questionnements concernant son identité sexuelle s’avèrent touchants et occupent une place non négligeable dans le roman qui traite le sujet avec une grande sensibilité. Du côté de Marylou on alterne entre la pitié, l’admiration, la déception, voir carrément le dégoût, et c’est justement parce qu’ils nous font passer par une palette aussi variée d’émotions que les chapitres la concernant sont aussi intéressants. Le tutoiement adopté est, encore une fois, pour beaucoup dans le plaisir qu’on prend à découvrir son point de vue, tandis que le mode « journal intime » choisi par Sacha se révèle moins surprenant et parfois même trop peu crédible. Certains passages sont en effet typiques d’un récit écrit par une petite fille de dix ans, et leur simplicité pourra alors gêner le lecteur, tandis que d’autres témoignent d’une grande maturité qui ne colle pas avec l’âge du personnage. Les autres personnages sont quant à eux très secondaires et ne servent que de toile de fonds au récit, à commencer par les hommes qui sont ici traités de manière presque exclusivement négative, ce qui ne manque pas de susciter un sentiment d’oppression chez le lecteur, peut-être même davantage que la perspective de voir Jonathan se transformer en monstre sanguinaire. Le mythe est d’ailleurs abordé de manière très classique : on a affaire à une créature sauvage et imprévisible qui ne peut se contrôler et cherche par tous les moyens à contenter ses besoins primaires, se dépouillant ainsi totalement son humanité. Quelques petits ajouts liés à l’histoire personnelle du garçon et de mère viennent se greffer sur le mythe originel, mais dans l’ensemble les amateurs de récits faisant la part belle à la lycanthropie ne seront pas vraiment dépaysés.
Retour en enfance dans les années 1990
Un autre aspect important du roman, qui a le pouvoir de déplaire autant que de séduire les lecteurs, concerne la période à laquelle se déroule l’histoire. L’autrice a en effet choisi de situer l’action à la fin des années 1990 et multiplie tout au long du récit les références aux classiques de cette époque, ce qui ne manquera pas de susciter la nostalgie de celles et ceux qui ont vécu leur enfance à la même période. Avec ses nombreux clins d’oeil cinématographiques (Didier, Maman j’ai raté l’avion, Hook, Dragon Ball Z…), publicitaires (Croustibat, Frosties, PEZ…) ou technologiques (tamagotchi, minitel, Super Nitendo…), Morgane Caussarieu créé ici une ambiance un peu désuète très particulière qui parlera à beaucoup mais court aussi le risque de lasser à force de vouloir trop en faire. En partie à cause de cette atmosphère pleine de nostalgie, mais aussi en raison de l’intrusion du surnaturel dans la vie de jeunes enfants, le roman fait évidemment beaucoup penser à d’autres œuvres du même type, à l’image de « Ça » de Stephen King, ou plus récemment de la série à succès « Stranger Things », avec laquelle elle partage pas mal de points commun. Le côté « village perdu et renfermé sur lui-même où tout se sait mais où personne ne dit rien » m’a également fait penser à d’autres romans d’imaginaire sortis récemment et dans lesquels on retrouvait approximativement le même schéma et une partie des thématiques concernant le passage à l’âge adulte et les effets de la maltraitance sur les enfants. Parmi eux je citerais notamment « Je suis ta nuit » de Loïc Le Borgne (ActuSF), qui m’avait beaucoup marqué lors de ma lecture, mais aussi « La princesse au visage de nuit » de David Bry (HSN).
Bien que classique dans sa façon d’aborder le mythe du loup-garou, le roman de Morgane Caussarieu séduit à la fois par son dynamisme et son côté un peu « cru » mais aussi par la personnalité atypique de ses héroïnes, une petite fille qui se sent garçon et une mère hyper-protectrice. Le mode de narration choisi par l’autrice, qui alterne entre le « je » et le « tu », présente quelques limites mais se révèle dans l’ensemble réussi, notamment parce que la subjectivité de chacun des deux points de vue permet d’habiles retournements qui viennent changer le regard du lecteur sur certains personnages ou pans de l’intrigue.
Autres critiques : Tigger Lilly (Le dragon galactique) ; Ombrebones (Chroniques de l’imaginaire)
5 commentaires
Tigger Lilly
Ha ouf je n’ai pas lu les 2 livres que tu cites, faut faire attention de ménager les répétitions XD
C’était un chouette livre, mais pour moi Je suis ton ombre reste indétrônable. Tu l’as lu ?
Boudicca
Non, mais maintenant que je me suis un peu frottée à la plume de l’autrice j’ai bien envie 🙂
Ping :
Yuyine
Je me suis vraiment beaucoup amusé à le lecture personnellement. Le roman fait appel à une nostalgie rafraichissante tout en revenant aux classiques du body horror avec brio. J’ai trouvé le roman très réussi, malgré les failles de la narration que tu soulèves.
Boudicca
J’ai passé un très bon moment aussi, d’ailleurs je l’ai lu d’une traite : c’est le signe d’un bon bouquin 😉