Fantasy

La croisade éternelle, tome 1 : La prêtresse esclave

Titre : La prêtresse esclave
Cycle/Série : La croisade éternelle, tome 1
Auteur : Victor Fleury
Éditeur : Bragelonne / Le livre de poche
Date de publication : 2019 / 2021

Synopsis : Au cœur de la capitale d’un empire millénaire, la prêtresse Nisaba est la principale servante de l’héritier royal, Akurgal. La jeune femme a de quoi haïr la famille régnante, même si elle est forcée de servir son maître sans protester. Or celui-ci est réputé pour sa décadence, utilisant sans mesure ses oblats, des esclaves sacrés dont il s’est approprié les sens grâce à ses pouvoirs mystiques. Mais quand Akurgal décide de partir en croisade aux confins de l’empire, Nisaba se voit obligée de le suivre en laissant son propre fils derrière elle. Alors que secrets et complots semblent se multiplier dans l’entourage de son maître, la prêtresse esclave parviendra-t-elle à le protéger, et à sauver l’empire tout entier de la ruine ?

La Mésopotamie antique à l’honneur

Parmi les périodes historiques et les civilisations ayant inspiré des romans de fantasy, la Mésopotamie antique ne figure clairement pas parmi les plus populaires. Si le sujet vous intéresse, peut-être êtes-vous tombés à l’occasion sur « Les immortels » de Michel Pagel, « Car je suis légion » de Xavier Mauméjean ou encore « Gilgamesh, roi d’Ourouk » de Robert Silverberg (si vous avez d’autres exemples en tête je suis preneuse…) mais il faut bien avouer que les Sumériens n’ont pas vraiment la cote en imaginaire. En tout cas jusqu’à récemment, puisqu’on doit désormais à Victor Fleury une nouvelle série fortement inspirée de ce contexte, même si le roman n’a rien d’historique et se contente de réutiliser quelques éléments mythologiques ou civilisationnels. Premier tome chargé de lancer la trilogie de « La croisade éternelle », « La prêtresse esclave » met en scène une jeune femme, Nisaba, dont la particularité réside dans la relation qu’elle entretient avec l’héritier au trône d’Ubuk, l’infant Akurgal. Considérés comme les représentants du dieu Enlê sur terre, les membres de la dynastie au pouvoir possèdent en effet tous ce que l’on appelle des « oblats », des serviteurs d’un genre un peu particulier puisqu’ils sont magiquement liés à eux et leur transmettent leur savoir, force ou sensations, en fonction du type de lien qui a été créé. Nisaba, elle, est l’oblate de toucher de l’héritier : tout ce qu’il ressent physiquement, elle le ressent et, si le prince a le pouvoir de restreindre sa connexion lorsqu’il le souhaite, ce n’est pas le cas de la jeune femme, contrainte à endurer tout ce que son maître fait subir à son corps. Obligée de se réfugier dans la drogue pour supporter les orgies sans fin auxquelles participe le jeune homme, privée de son fils par la dynastie régnante, la prêtresse possède certes une position sociale élevée, mais ne retire aucun bénéfice ni aucune joie de son statut. Sa situation ne tarde d’ailleurs pas à se dégrader davantage puisque son maître n’a rien trouvé de mieux que d’entreprendre une croisade aux frontières de l’empire afin de faire ses preuves et ainsi damner le pion à sa mère qui souhaiterait le mettre à l’écart de la succession en raison de son caractère volage et irresponsable. Voilà Nisaba obligée de quitter la capitale, loin de son fils qu’elle espère par dessus tout récupérer, et entraînée dans des complots qui dépassent de loin la simple intrigue de cour mais pourrait bien au contraire ébranler l’empire dans son ensemble.

Un système de magie convainquant

Ce premier tome est une vraie réussite est cumule plusieurs atouts qui ne manqueront pas de ravir les amateurs de fantasy. Le cadre, d’abord, est dépaysant puisque, loin de l’Europe médiévale qui sert souvent de cadre aux romans se revendiquant de ce genre, l’auteur s’inspire ici de la Mésopotamie antique (la proximité entre les noms « Ubuk » et « Uruk » n’est évidemment pas fortuite). On a donc affaire à un empire assez ancien qui repose sur une dynastie régnante considérée comme d’origine divine et seule à même de repousser les forces infernales qui voudraient faire sombrer le monde dans le chaos. Le panthéon exposé ici est dans un premier temps assez limité puisqu’il repose essentiellement sur le conflit opposant deux frères, l’un lumineux et pur, l’autre contrefait et méprisable, mais l’auteur va peu à peu tenter d’étoffer la mythologique de son univers. Outre la qualité du cadre, on peut également saluer celle du système de magie évoqué ici, même si ce n’est pas la première fois que ce type de transfert de pouvoir entre individus est mis en scène en imaginaire (pour ma part j’ai tout de suite pensé aux « Seigneurs des runes » de Dave Wolverton et à ses dédiés, des personnes ayant cédé, volontairement ou non, certaines de leurs habilités à un autre individu). Si l’auteur reste avare d’informations concernant la manière dont se déroule le transfert, la façon dont le lien fonctionne est en revanche longuement évoqué, et les possibilités qu’un tel procédé ouvre aux membres de la dynastie royale sont intéressantes. D’autres oblats gravitent en effet dans l’entourage de Nisaba, chacun prêtant au prince ou à la princesse auxquels ils sont liés qui sa voix, son visage, sa force, sa mémoire, ou même son sommeil. Notre héroïne dispose également de pouvoirs qui lui sont propres et qui ne semblent être réservés qu’à une poignée d’individus, ce qui en font une femme particulièrement dangereuse. Victor Fleury se montre ici un peu plus disert concernant la manière dont fonctionne l’Irradiance, cette fameuse force que parvient à dompter Nisaba, en revanche la seconde forme de magie évoquée ici demeure encore très mystérieuse. A la curiosité que l’on éprouve concernant ce système de magie vient s’ajouter celle que ne manque pas de susciter l’intrigue elle-même. Menée tambour battant, celle-ci s’avère bien construite et pleine de rebondissements qui viennent sans cesse relancer l’intérêt du lecteur. Certaines situations sont parfois résolues un peu trop rapidement à mon goût, mais il faut bien admettre qu’on se laisse rapidement prendre par la frénésie de cette croisade au cours de laquelle rien ne se passe comme prévu.

Des personnages ambigus et attachants

Au nombre des points forts figure également le soin avec lequel l’auteur a travaillé ses personnages, à commencer par le duo constitué de Nisaba et d’Akurgal. La jeune femme campe une héroïne convaincante, ni victime passive ni sur-femme bad-ass, et les zones d’ombre qui entourent son passé, et sur lesquelles l’auteur lèvera le voile au fil du roman, ne font que renforcer l’intérêt que l’on éprouve pour son parcours. La relation complexe qu’elle entretient avec l’héritier, mélange de haine et d’amour mêlé de rancœur, n’est également pas étrangère à l’avidité avec laquelle le lecteur dévore les pages. Car Victor Fleury distille au compte goutte les flashbacks qui permettent d’éclairer les choix ou comportements des personnages dans le présent. Ainsi, quand bien même certains d’entre eux pourraient paraître insupportables ou injustes dans un premier temps (le prince héritier en tête), les éclairages fournis sur le passé commun des protagonistes permet de les voir sous un autre jour et de nuancer un peu la personnalité qu’on pouvait jusqu’à présent jugée caricaturale de certains. L’affection qu’on en vient à éprouver pour l’héroïne vient d’ailleurs en partie de cette volonté de nuance de la part de l’auteur puisqu’on est loin d’avoir affaire à une oie blanche simplement victime d’un tyran. Le parcours de Nisaba est complexe, et l’auteur n’hésite pas à lui faire prendre des choix controversés qui la feraient parfois plutôt basculer dans la catégorie des antihéros. Les personnages secondaires sont moins développés et passent souvent trop rapidement pour qu’on s’y attarde vraiment, mais ceux qui gravitent dans l’entourage de la prêtresse sont convaincants et parviennent à susciter, chacun à leur manière, la tendresse du lecteur. Un mot, pour terminer, sur l’écriture qui se révèle relativement passe-partout : pas de grandes envolées lyriques ni d’effets de style particuliers donc, mais une plume fluide qui sait s’effacer pour donner libre cours au récit.

Victor Fleury signe avec ce premier tome de « La croisade éternelle » un bon premier tome qui repose sur de solides atouts parmi lesquels on peut notamment citer l’originalité de son cadre (la Mésopotamie antique) ainsi que la personnalité de son héroïne, personnage complexe au passé tumultueux qu’on prend autant de plaisir à découvrir qu’à suivre l’évolution de cette croisade un peu désespérée menée aux confins d’un empire déclinant. Espérons que la suite sera du même acabit (le deuxième tome est déjà disponible en grand format tandis que le dernier devrait paraître en octobre de cette année).

Voir aussi : Tome 2 ; Tome 3

Autres critiques : Aelinel (La bibliothèque d’Aelinel) ; Apophis (Le culte d’Apophis) ; Xapur (Les lectures de Xapur)

Passionnée d'histoire (surtout le XIXe siècle) et grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement) mais aussi d'essais politiques et de recherches historiques. Ancrée très à gauche. Féministe.

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