Utopiales 2014, Conférence #2 : La formidable épopée des inadaptés en science-fiction
Pour beaucoup, la science-fiction est, par définition, une littérature d’inadaptés. Peu importe qu’elle permette l’exploration quasi infinie des possibles et propose une réflexion sur notre société et notre époque, ce genre littéraire reste aujourd’hui encore réservé à ceux qui ne se seraient pas encore décidés à grandir. « On en lisait, mais seulement quand on était jeune », vous diront beaucoup de lecteurs. Lors du festival des Utopiales de Nantes, une conférence intitulée « La fabuleuse épopée des inadaptés de science-fiction » et réunissant Jo Walton (« Morwenna »), Catherine Dufour (« Outrage et rébellion »), Olivier Paquet et Philippe Curval s’est penchée sur cette épineuse question. L’occasion de découvrir que, si la figure de l’inadapté est très fréquente dans les romans de science-fiction, elle peut cela dit prendre des formes extrêmement variées.
Le premier inadapté auquel on est tenté de penser est celui qui possède des capacités intellectuelles limitées ou qui est atteint d’un handicap qui va entraver ses rapports aux autres. Pour Philippe Curval, l’exemple le plus représentatif est celui du héros du « Roi des étoiles » d’Edmond Hamilton, John Gordon, employé new-yorkais mal dans sa peau, dont l’esprit va permuter avec celui de Zarch, prince de l’empire galactique. On peut également citer le roman « Des fleurs pour Algernon » de Daniel Keyes qui met en scène un attardé mental qui, après une opération du cerveau, va voir ses capacités intellectuelles multipliées tout en sachant que cela n’est que temporaire et qu’il reviendra irrémédiablement à son état original. Olivier Paquet a quant à lui été marqué par l’ouvrage d’Elizabeth Moon, « La vitesse de l’obscurité », dans lequel le héros est un brillant scientifique autiste et qui propose une belle réflexion sur nos codes sociaux et nos rapports aux autres.
L’inadapté peut aussi être quelqu’un d’étranger à la civilisation à laquelle il est confronté. C’est le personnage de l’explorateur qui nous permet de poser un regard neuf sur le monde justement parce qu’il est extérieur et ne comprend donc pas forcément les us et coutumes qu’il découvre. Il y a aussi les inadaptés à l’envers, les génie ou les super-héros, qui, tous deux, excellent dans un domaine spécifique mais rencontrent de grandes difficultés à communiquer ou nouer des liens avec leurs semblables (notamment avec le sexe opposé). Jo Walton voit cela comme une volonté d’équilibrer un peu la balance : certes ils possèdent de super-pouvoirs ou sont dotés d’une intelligence hors du commun, mais ils n’en sont pas moins malheureux que le reste du genre humain. Citons également deux autres types d’inadaptés : l’amnésique, et surtout le mutant, l’inadaptée suprême.
Enfin, il ne faut pas oublier un autre genre d’inadapté : l’adolescent. Olivier Paquet prend l’exemple des mangas qui mettent souvent en scène des ados qui ne comprennent pas la société et que la société ne comprend pas. « Naruto » en est une parfaite illustration puisque on y rencontre plusieurs typologies d’adolescents (le sombre, le maladroit…). Catherine Dufour mentionnent quant à elle les nombreux romans, pas nécessairement de SF, qui servent un peu de boites à outils dans laquelle les jeunes filles vont piocher et qui mettent en scène un personnage auquel elles vont s’identifier. Le modèle sur lequel l’adolescente s’appuie aujourd’hui, c’est celui des héroïnes de Twilight ou de « Cinquante nuances de Grey » : maladroite, pas spécialement jolie, adulant totalement leur partenaire… On retrouve cette thématique de l’adolescent inadapté chez Jo Walton qui met en scène dans « Morwenna » une jeune fille qui ne parvient pas à trouver sa place et dont le salut va justement venir de la littérature, et plus spécifiquement de la science-fiction et de la fantasy…