Le Livre sur la Place de Nancy 2017
« – Dis-nous Davalian, comme tu as visité les salons du livre de Paris et de Nancy cette année, peux-tu nous dire ce qui les distingue ?
– Le second est gratuit.
– Ah… et tu en penses quoi ?
– Pas grand-chose : dans les deux cas, j’ai davantage dépensé en billets de train qu’en livres… »
Comme tous les ans, Nancy a accueilli, du 08 au 10 septembre 2017, son salon intitulé « Le Livre sur la place ». Cet événement provincial est le second temps de la saison littéraire. Il sert de vitrine (ou plutôt de tête de gondole) à la rentrée littéraire. Ce phénomène étant lui-même critiqué, quelques cyniques pourront déjà s’interroger sur l’utilité d’un tel raout. Quel intérêt de sortir tous les livres au même moment, alors que les gens n’ont justement plus le temps de lire ? Aucun, les sorties ciné, bandes dessinées et jeux-vidéo occupant déjà le créneau des fêtes de fin d’année, il faut bien trouver une période de vente…
Les organisateurs voient les chosent en grand : 600 auteurs annoncés, des émissions de radio en direct, la Place de la Carrière qui est métamorphosée avec un grand chapiteau, en fait composé d’un grand et d’un plus petit. Oui tout cela est impressionnant, pourtant la place laissée aux auteurs auto édités interroge. Visiblement, ceux-ci n’ont pas accès à la cour des grands : le lieu où il faut être. Sympa… Assurément, l’on n’a pas regardé à la dépense : livrets d’information et autres supports de communication colorés et imprimés sur papier glacé, accompagnants, équipes techniques, vendeurs, photographes, cameramen, équipement, site internet mis à jour en temps réel, sans oublier les réseaux sociaux…
Tout cela est certes impressionnant mais fait douter : sommes-nous dans un salon littéraire ou dans une foire quelconque ?
Soyez rassurés, vous êtes en sécurité : contrôles de sécurité symboliques entraînant de longues queues avec des employés patibulaires et déjà fatigués à l’arrivée. Fort heureusement, ces derniers sont relayés par des escouades de policiers municipaux défilant fièrement en exhibant leurs armes automatiques… sous le chapiteau. Le message des organisateurs est limpide : « Vous pouvez consommer l’esprit tranquille, vous n’êtes pas menacés ». Oui nous sommes donc bels et bien dans une foire… comme au marché de Noël.
L’on nous annonce trois jours de réjouissances livresques. Bon honnêtement, le vendredi, il n’y a pas grand monde, ni dans les chapiteaux, ni parmi les auteurs. C’est le temps politique. Le samedi et le dimanche c’est la cohue et il faut bien préparer sa visite car rares sont les auteurs présents ne serait-ce que le weekend. 600 auteurs sans doute, oui mais encore faut-il compter avec leur participation dans les différentes activités prévues et leurs absences. Ainsi, Amélie Nothomb ne passera que quelques heures à Nancy le vendredi. Marc Dugain, Jean-Christophe Grangé ne seront là que dimanche et combien d’autres sont sensés être présents alors que leur chaise demeure désespérément vide… Cela devient aussi agaçant qu’à Paris.
Vous pensiez croiser Ken Follett ou d’autres sommités internationales ? Sérieusement ?
Il est curieux de constater que certains auteurs ont droit à une file d’attente et un vigile attitré. Ce luxe est le summum de la reconnaissance. Oui, lorsque vous êtes ici, derrière la table, vous savez que vous avez réussi Déprimant et pathétique, car ceux qui sont derrière la table pourront attendre et si tout va bien sous la pluie. Les élus sont peu nombreux : Amélie Nothomb (malgré sa présence éphémère), Frank Thilliez, Eric Emmanuel Schmitt, Daniel Picouly.
La fantasy reste la grande absente du salon. L’organisation par stand de vendeurs n’est pas une excuse. Quelques auteurs sont présents, mais il faudra les chercher. Les deux habitués que sont Pierre Pevel et Jean-Philippe Jaworski ne se sont pas déplacés. La plupart des auteurs présents seront d’ailleurs spécialisés dans la young fantasy, la seule célébrité présente est Silène Edgar… Il faudra aller dans le second chapiteau pour trouver davantage de monde. Mais cette partie-là donne l’impression d’être un fourre-tout entre la BD et ouvrages régionaux qui n’ont pas trouvé de place dans la salle principale, les ouvrages pour les plus jeunes et le coin repas.
Un feuilleté lorrain avec ça ?!
L’offre de livres n’est guère alléchante. Il faudra d’abord mettre de côté les magasines présents sur tous les salons de ce type. Comme dans toute foire il y aussi les pseudos promotions. Oui « promotion » ! Et qui dit « promotion », dit calculette : ça y est nous voici ravalés au rang de consommateurs. Le résultat qui apparaît sur la calculette en question, nous délivrera un autre enseignement… Les opus présentés sur les étals varient en fonction de la place que l’on accorde à son auteur, elle-même dépend visiblement de sa notoriété. Allez demander un ouvrage qui date de quelques années, et savourez le regard de la personne chargée de la vente, elle vous fait clairement comprendre sa pensée : « non mais, quelle question ! ». Auriez-vous rêvé ou confondu avec un autre auteur ? Lors du déjeuner vous allez vérifier sur Babelio qui vous confirme que vous ne vous êtes pas trompés. Et bien ça donne envie… d’acheter ailleurs ! Fort heureusement, il y a des auteurs sympas qui prennent le temps de discuter, de personnaliser la dédicace, qui se souviennent de vous. Ces petits moments privilégiés compensent hélas avec grand peine le désagrément de la foule. J’en profite pour saluer et remercier une nouvelle fois Jacques Ravenne et Gilles Mezzomo.
Entre les individus ayant leur portable en main dans un axe de circulation, ceux qui utilisent leur progéniture (en première ligne) pour se frayer un chemin, ceux qui laissent leurs affaires pour aller taper la causette ou faire la queue ailleurs et ceux qui vous passent sous le nez il a de quoi vous dégoûter… Sans oublier les auteurs qui prennent le temps et se fichent de vous : vous faisant attendre, vous octroyant ainsi le privilège de voir les personnes devant vous partir avec leur sésame (magnifique au demeurant) alors que vous, vous repartez bredouilles après plusieurs heures d’attente. En tant que consommateur engagé, je vous déconseille d’acheter la version BD de La vie en pente douce chez votre libraire. Un bouquiniste fera l’affaire. Pourquoi ? Son dessinateur Jean-Claude Chauzy n’est pas correct. Pierre Pelot est bien plus sympathique, même si l’éditeur ne proposait pas l’album en question.
Une entente commerciale aussi flagrante ? Décidément nous tombons bien bas cette année.
Dédicace ou manifestation : il faudra choisir car c’est l’un ou l’autre. Lorsqu’un auteur est présent une seule journée et qu’il est à la mode, il faudra attendre, attendre, attendre, attendre, attendre, attendre, bref… ne pas allez avoir quelqu’un d’autre et peut-être réussir (si vous avez de la chance). Sinon, il ne vous reste plus que la tristesse ou la colère. Quid de la possibilité d’acheter, puis de faire signer et récupérer le butin sans voir votre auteur ? Niet, il ne faut pas rêver… Pour les manifestations, un petit conseil : il vous faudra faire le pied de grue une heure avant le début, sous la pluie et debout bien sûr. Sympa, surtout quand les événements se succèdent les uns aux autres… dans des endroits différents ! Si vous arrivez plus tard et bien : c’est cuit, caramélisé, cramé. Vous pouvez passer à autre chose. A moins de vouloir forcer la chance et de réussir, dans le meilleur des cas à passer par la case attouchements et vérification des sacs, pour finalement vous contenter d’un écran plat qui retransmet votre conférence (amputée d’une partie) tout en restant… debout. Et pour finir : c’est reparti pour la cohue soit pour sortir, soit pour tenter d’apercevoir votre auteur.
Sérieusement, que cherchent les organisateurs ? Encourager les lecteurs à se rabattre sur les retransmissions disponibles sur Internet et les rencontres en librairie ?
« Le livre sur la place » est devenu une foire à légale de celle de Paris, un lieu où les auteurs à succès se doivent d’être vus et admirés par des hordes de lecteurs sous le nez de confrères moins connus. Qui sait, l’entrée sera bientôt payante et pour justifier le prix l’on imposera des camelots : « Mesdames, Messieurs, avez-vous acheté le dernier…. Ah bien meilleur que le … de l’année passée. Je le dit haut et fort : bien meilleur ! Et pourtant je n’ai lu aucun de ses livres ! C’est le moment ou jamais, pour les dix premières personnes qui se présenteront, nous vous offrirons en prime le sourire de l’auteur, venez vite ! ».