Science-Fiction

Semiosis

Titre : Semiosis
Auteur : Sue Burke
Éditeur : Albin Michel (Imaginaire)
Date de publication : 2019 (septembre)

Synopsis : Ils sont cinquante – des femmes, des hommes de tous horizons. Ils ont définitivement quitté la Terre pour, au terme d’un voyage interstellaire de cent soixante ans, s’établir sur une planète extrasolaire, qu’ils ont baptisé Pax. Ils ont laissé derrière eux les guerres, la pollution, l’argent, pour se rapprocher de « la nature ». Tout recommencer. Retrouver un équilibre définitivement perdu sur Terre. Construire une Utopie. Mais avant même de fonder leur colonie, des drames mettent à mal leur idéal. Avarie sur une capsule d’hibernation, accident d’une des navettes au moment de l’atterrissage. Du matériel irremplaçable est détruit. Les morts s’accumulent. La nature est par essence hostile et dangereuse ; celle de Pax, mystérieuse, uniquement végétale, ne fait pas exception à la règle. Pour survivre, les colons de Pax vont devoir affronter ce qu’ils ne comprennent pas et comprendre ce qu’ils affrontent.

 

La communication inter-espèce au cœur du roman

La « sémiose » est un terme utilisé pour désigner la signification en fonction du contexte : pour faire simple, un même signe peut vouloir dire des choses différentes selon la manière et l’environnement dans lequel il est utilisé. A priori rien à voir avec de l’exploration spatiale, or c’est pourtant la notion qui se situe au cœur du roman de Sue Burke, auteure américaine publiée en cette rentrée 2019 chez Albin Michel. Le récit met en scène un groupe de terriens envoyés dans l’espace afin de fonder les bases d’une colonie sur une nouvelle planète, la notre étant sur le point de rendre l’âme en raison du réchauffement climatique et de ses conséquences dramatiques (catastrophes naturelles, guerres, famines…). Mais lorsque la cinquantaine de membres que compte l’équipage se réveille enfin après des années de sommeil artificiel, c’est pour découvrir que le vaisseau a opté pour une autre destination que celle initialement prévue. Qu’à cela ne tienne, les explorateurs décident malgré tout de s’installer sur cette étrange planète dont ils entendent faire leur nouveau foyer. Régie par une constitution dont les articles définissent les grands principes sur lesquels reposeront cette nouvelle expérience humaine, la colonie de Pax entend bien ne pas reproduire les mêmes erreurs que sur Terre et vivre en harmonie avec la nature qui l’entoure. Mais très vite, l’utopie imaginée tourne court. D’abord parce que l’effectif de départ se trouve fortement réduit à la suite de nombreux accidents. Ensuite parce que, si la faune locale n’a pas l’air hostile, la flore, elle, risque de poser davantage problème. Les colons se rendent en effet rapidement compte que certaines plantes possèdent une intelligence remarquable et qu’elles tentent, à leur manière, de communiquer avec eux. Mais comment entrer en contact avec une espèce certes consciente mais dont on ignore tout et qui ne nous ressemble en rien ? Le roman se divise en sept parties plus ou moins longues mettant chaque fois en scène un narrateur et une génération différente. Bien que le procédé soit intéressant dans la mesure où il permet au lecteur de suivre progressivement l’évolution de la colonie, il a aussi ses limites puisque les différentes parties se révèlent d’un niveau très variable.

Un roman déséquilibré

La première moitié du roman en fait malheureusement les frais puisque celle-ci souffre de nombreuses maladresses qui pourraient inciter à abandonner trop tôt la lecture. Le premier chapitre (déjà publié sous forme de nouvelle dans une revue) se concentre sur la découverte par les terriens de leur nouvelle planète sur laquelle ils réalisent que deux plantes se livrent une guerre sans merci : l’une d’elle va choisir de faire d’eux des alliés, tandis que l’autre cherche à les détruire par tous les moyens à sa disposition (empoisonnement de ses fruits, destruction des cultures…). L’idée est originale et le mystère qui plane autour de la nature de ces végétaux et du degré de leur intelligence parvient sans mal à capter l’intérêt du lecteur. Cela permet également à l’auteur de commencer à aborder la vaste question de la communication inter-espèce qui sera développée plus en détail dans les chapitres suivants. On peut en revanche regretter un rythme un peu trop lent et des personnages peu attachants. Le chapitre suivant met en scène la deuxième génération, celle des enfants des premiers colons qui n’ont donc jamais connu la Terre. Cette fois, la question du premier contact avec une autre forme de vie est reléguée au second plan, l’auteur préférant se focaliser sur les relations entre humains et les dérives de la société instaurée par les « Parents ». Il faut dire que l’utopie initiale se trouve sacrément mise à mal. Meurtres, mensonges, viols, secrets… : la société égalitaire rêvée a laissé la place à une dictature autoritaire des anciens sur les plus jeunes. La première génération mise en scène dans le premier chapitre en prend ainsi pour son grade, les individus la composant se révélant tour à tour lâches, mesquins, et surtout conservateurs. Tout cela ne paraît malheureusement pas très cohérent. D’abord parce que, s’ils ont justement été choisis pour cette mission, c’est avant tout en raison de leur ouverture d’esprit et de leur bienveillance. Ensuit, parce que l’auteur donne l’impression de faire dans la surenchère au point de réduire les personnages à des caricatures d’eux-mêmes. Le chapitre suivant ne souffre pas des mêmes défauts mais n’est guère plus passionnant. Il met en scène un jeune homme de la génération suivante utilisé (avec son consentement) comme « reproducteur » par les femmes de la communautés dont les maris sont pour la plupart stériles. L’occasion pour l’auteur d’aborder les questions éthiques posées par la nécessité de l’accroissement démographique de la population de Pax. Le thème traité est intéressant mais l’intrigue est malheureusement trop simpliste et le personnage un peu agaçant.

Des thématiques sociétales…

A ce stade du roman, je dois bien avouer que j’étais à deux doigts d’abandonner. Et j’aurais eu tort, puisque la suite se révèle, de manière surprenante, tout à fait passionnante. Cela commence dès le quatrième chapitre qui met en scène une enquête criminelle : un des membres de la communauté est assassiné dans d’atroces conditions, et une femme va mener l’enquête pour tenter de trouver le coupable dans une colonie qui compte environ trois cent habitants qui se connaissent tous et partagent (en théorie) les mêmes idéaux. On se prend très vite au jeu, l’auteur parvenant à créer un véritable suspens tout abordant de nouvelles thématiques, mais de manière plus subtile que précédemment. Après avoir esquissé une réflexion sur la nécessité de la désobéissance dans une société autoritaire, Sue Burke pousse cette fois ses personnages à s’interroger sur la manière de gérer la violence : comment punir le crime ? La peine de mort doit-elle être appliquée ? Que faire des personnes atteintes de maladies mentales… ? Les habitants de Pax se retrouvent une fois encore placés face à leurs contradictions qui vont d’ailleurs se multiplier au fil des crises rencontrées dans les chapitres suivants. La découverte de l’existence d’une espèce intelligente non végétale (les Verriers) dans le cinquième chapitre va notamment permettre à l’auteur de soulever une multitude d’autres problèmes que rencontre inévitablement toute société humaine, même sur une autre planète : quelle attitude adoptée face au racisme ? Comment réagir face à la violence ? Comment forcer des individus hostiles à coopérer et vivre avec les autres ? Comment faire pour cohabiter avec ces individus dont le fonctionnement et les codes sont totalement différents des nôtres ? L’utopie initiale se trouve une fois encore sacrément remise en question, mais chaque nouveau problème posé permet à la communauté d’évoluer et au lecteur de mesurer le chemin parcouru au fil des générations. Outre la qualité de la réflexion proposée, le lecteur appréciera surtout la précision avec laquelle l’auteur nous dépeint cette nouvelle espèce intelligente dont on découvre non seulement les particularités physiques mais aussi « sociales » (habitations, vêtements, langage, rites funéraires, stratification de la société…), ce qui donne une dimension presque anthropologique au texte.

… et environnementales

Au-delà de la multitude de thématiques sociétales abordées via l’évolution de la colonie, la notion qui se situe au cœur du roman reste sans aucun doute celle de la communication inter-espèce (d’où le titre du livre). Les habitants de Pax vont en effet rapidement se rendre compte que les deux plantes qui s’opposaient lors de leur arrivée sont loin d’être les seules formes d’intelligence de cette planète à vouloir entrer en contact avec eux. La plus évoluée d’entre elles se révèle être un bambou qui va parvenir à se faire comprendre des humains et leur proposer de vivre en symbiose, chaque espèce participant au bien-être de l’autre : le bambou approvisionne les humains en fruits nourrissants et sert d’intermédiaire entre eux et les autres espèces végétales pour les pousser à coopérer, tandis que les humains lui apportent tout ce dont il a besoin pour se développer. Très vite, la question du contrôle exercé par la plante sur les membres de la colonie se pose, car il devient évident que le bambou dispose d’une intelligence supérieure et qu’il considère les humains davantage comme des créatures à apprivoiser plutôt que comme des partenaires. Là encore, les questionnements soulevés par l’auteur sont d’autant plus captivants que celle-ci ne cherche pas à nous imposer un point de vue mais laisse au contraire au lecteur et aux personnages le soin de se faire leur propre idée sur la nécessité ou non de cette coopération inter-espèce. Les échanges entres les membres de la communauté et le végétal ou les Verriers sont, à ce titre, tout à fait passionnants, même si on peut regretter l’utilisation d’un style un peu lourd : le bambou comme les Verriers ne parlant pas la même langue que les humains, ceux-ci utilisent un charabia compréhensible mais pénible à déchiffrer à base de verbes à l’infinitif plutôt que conjugués, d’inversion de mots… Tout ce qui concerne la communication entre plantes se révèle aussi parfois difficile à saisir, cette fois non pas en raison des tournures employées mais plutôt du degré d’informations scientifiques utilisé. L’auteur nous abreuve en effet de détails concernant la manière dont les végétaux fonctionnent et communiquent (entre eux ou avec d’autres espèces comme les insectes), ce qui pourra perdre certains lecteurs s’y connaissant peu en botanique (dont moi) tout en se révélant passionnant par les perspectives qu’ils ouvrent concernant l’existence de différentes formes d’intelligence non humaines.

En dépit d’une première moitié peu convaincante qui pourrait malheureusement décourager une partie des lecteurs, « Semiosis » se révèle être une très bonne surprise. L’auteur y aborde une multitude de thématiques toutes plus intéressantes les unes que les autres, qu’elles soient sociétales ou écologiques. La seconde moitié de l’ouvrage, qui met en scène le premier contact noué entre plusieurs espèces conscientes radicalement différentes, est particulièrement passionnante et dépeint avec subtilité la complexité des rapports inter-espèces ainsi que la difficulté d’établir une véritable communication. A noter qu’un second tome intitulé « Interférence » devrait paraître en octobre prochain, et, même si l’ouvrage peut tout à fait se suffire à lui-même, je suis très curieuse de connaître la suite de l’histoire de Pax et de ses habitants.

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques : Apophis (Le culte d’Apophis) ; Brize (Sur mes brizées) ; Célindanaé (Au pays des cave trolls) ; Le chien critique ; Les chroniques du Chroniqueur ; Lorhkan (Lorhkan et les mauvais genres) ; Lutin82 (Albédo – Univers imaginaires)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

10 commentaires

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