Fantasy

La dynastie des Dents de Lion, tome 1 : La grâce des rois

La grace des rois

Titre : La Grâce des Rois
Cycle/Série : La dynastie des Dents-de-Lions, tome 1
Auteur : Ken Liu
Éditeur : Outre Fleuve
Date de publication : 2018 (octobre)

Synopsis : Le Royaume de Dara est divisé en sept États, mais l’un d’entre eux, Xana, a pris l’ascendant sur les autres par la force et le jeu des alliances politiques. Son roi est devenu l’Empereur et a établi le règne du Céleste Diaphane. Tous désormais doivent chanter ses louanges et oeuvrer à sa gloire. Cependant, chez les nobles déchus comme chez le peuple corvéable, épuisé et écrasé d’impôts, la révolte gronde. Mais comment renverser cet empire dont les forces armées s’appuient sur une technologie élaborée et quasi magique ? C’est le défi que tenteront de relever Mata Zyndu, le dernier héritier de son clan, déchu pour avoir osé s’opposer à la Conquête et qui a juré de rétablir l’honneur de son nom, et Kuni Garu, un voyou charmeur et beau parleur qui s’apprête à embrasser un destin bien supérieur à ses ambitions les plus secrètes. Sauront-ils surmonter les défis qui les attendent pour accomplir leur destin sous la férule des dieux ?

Coup de coeur
 

Je refuse de croire tout changement futile depuis que j’ai vu le modeste dent-de-lion, armé d’une patience à l’épreuve du temps, parvenir à craqueler la plus solide dalle de pierre et s’y frayer un passage. Voilà pourquoi je te suis fidèle. Ce ne sont ni les dieux, ni nos anciens pourtant sages qui nous guident sur le droit chemin. Ce chemin, nous devons le trouver par nous-mêmes au moyen d’expériences. Tu doutes, et c’est par ce doute que tu nourris ta quête perpétuelle de nouvelles questions au détriment d’une croyance égoïste selon laquelle tu posséderais toutes les réponses.

Une rentrée en grande pompe pour Ken Liu

Ken Liu est un auteur américain qui a acquis une belle renommée en France depuis la parution il y a trois ans de son recueil de nouvelles « La ménagerie de papier », ainsi que celle d’un très bon court roman, édité dans la collection Une Heure Lumière du Belial (« L’homme qui mit fin à l’histoire »). C’est chez Fleuve que nous revient cette fois l’auteur, avec « La grâce des rois », premier tome d’une série qui en comporte pour le moment deux en version originale, et qui a d’ores et déjà été récompensé par le Prix Locus. Considéré comme l’œuvre fondatrice du courant « silkpunk », le roman de Ken Liu a pour ambition de relater l’émergence, dans un contexte politique particulièrement troublé, d’une nouvelle dynastie fortement inspirée de la civilisation asiatique. Le récit prend place à Dara, une grande île entourée de plusieurs autres de taille plus réduites, unifiées depuis peu sous la férule d’un seul et même empereur. Plusieurs décennies après les faits, la conquête de l’ensemble des royaumes par celui de Xana (pourtant autrefois le moins considéré de tous) reste toujours mal perçue par une partie de la population, qu’il s’agisse du peuple (qui souffre de la folie des grandeurs de l’empereur), ou des nobles (privés de leur titre et de leurs terres après la fin de la guerre). Profitant d’un moment de faiblesse au niveau des hautes instances du pouvoir, la révolte éclate enfin, et ne tarde pas à embraser l’ensemble des anciens royaumes. Parmi la multitude de leaders qui émergent à cette occasion, deux chefs charismatiques ne tardent pas à prendre le dessus sur les autres. Le premier est un ancien bandit, bon vivant et grand charmeur, suffisamment rusé pour parvenir à s’attacher la loyauté de tous ceux qui le côtoient. Le second est issu d’une famille noble victime de la répression post-conquête, et a été entraîné pour devenir un formidable guerrier, très attaché aux notions d’honneur et de hiérarchie.

La vision du chrysanthème VS celle du pissenlit

L’intrigue a l’air relativement simple exposée ainsi, mais dites-vous bien que ce n’est qu’une infime portion de ce que le roman de Ken Liu a à offrir. La forme de ce premier tome peut en effet paraître assez surprenante puisqu’on a souvent l’impression d’avoir affaire non pas à un roman mais à des chroniques recensant l’histoire de tous les bouleversements politiques et militaires qu’aurait connu l’île de Dara. Batailles, retournements d’alliances, mise en place de stratagèmes militaires, trahisons… : il se passe une foule de choses en l’espace de très peu de pages, et on peine au départ à comprendre où veut nous emmener l’auteur. Le phénomène est donc assez déroutant, mais on s’y habitue bien vite tant on ne tarde pas à être pris à notre tour dans la folie des événements. Le récit est mené tambour battant du début à la fin, sans aucun temps mort, ce qui permet de venir à bout de ces plus de huit cents pages en un temps record. Il faut dire aussi que les intrigues politiques relatées dans ce premier tome sont assez passionnantes, même si certaines sont moins subtiles que d’autres et qu’on peut regretter la répétition de certains schémas narratifs (dès qu’un personnage accède au pouvoir, il se transforme aussitôt en monstre despotique). L’ensemble reste cela dit remarquablement construit et permet de traiter de manière approfondie des thématiques sociétales et politiques essentielles. Faut-il considérer le peuple comme un vaste troupeau devant être guidé par un petit groupe de personnes éduquées pour cette tâche, ou des individus capables de prendre une part active aux décisions politiques qui les concernent ? La fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on créer une société idéale à partir d’actes moralement discutables, bien que perpétrés pour le bien du plus grand nombre ? Autant de questions qui hantent le roman de Ken Liu qui ne propose aucune réponse formelle mais ne cesse au contraire de jouer avec les croyances et les certitudes de ses personnages, et, de fait, celles du lecteur.

Ken Liu et la silkpunk fantasy

Autre atout, et non des moindres : son univers et son inspiration asiatique, trop rarement exploitée en fantasy. On prend plaisir à découvrir les subtilités de cette nouvelle culture qui puise l’essentiel de son inspiration dans les dynasties chinoises. Difficile de ne pas faire le parallèle avec le dernier diptyque de Guy Gavriel Kay dont les tomes ont respectivement été consacrés aux Tang (« Les chevaux célestes ») et aux Song (« Le fleuve céleste »). Quand bien même le texte de Ken Liu n’a pas la même force de ceux de son homologue canadien, on retrouve dans ce premier tome un soin équivalent apporté aux détails. L’auteur prend ainsi le temps de s’attarder non seulement sur les subterfuges politiques utilisés par les personnages pour contrôler leur territoire (centralisation du pouvoir, uniformisation de la langue et de l’écriture, sape de l’influence des nobles, entretien des forces navales et aériennes…), mais aussi sur des détails du quotidien ou de l’histoire de l’île (fonctionnement de l’administration, noms, œuvres et thèses défendues par les grands intellectuels du pays, spécialités culinaires, variation des postures et leur signification…). Tous ces éléments contribuent à familiariser peu à peu le lecteur avec la culture évoquée et à mettre en lumière sa complexité. Le roman est également considéré comme fondateur de ce qu’on appelle la « silkpunk fantasy » (pour plus d’informations sur le sujet, je vous conseille de consulter le dieu Apophis et ses articles consacrés à la classification des genres et sous-genres de SFFF). Concrètement, cela se traduit par l’introduction de petites touches de technologies plus ou moins avancées et concoctées avec les moyens du bord (on est très loin du steampunk et de son esthétique). L’auteur mentionne ainsi à plusieurs reprises la présence d’aérostats ou de portiques magnétiques, et relate les innovations réalisées dans le domaine de l’ingénierie ainsi que l’utilisation de nouvelles inventions (parachute, ULM…). Le tout reste toutefois très léger et n’occupe pas de rôle véritablement important dans l’univers de l’auteur.

Des dieux et des hommes

Autre élément notable de cet univers : l’intervention des divinités du panthéon de Dara. Ken Liu nous dépeint une famille de divinités qui prennent apparemment beaucoup de plaisir à voir les mortels se déchirer. A tel point d’ailleurs que certains se désignent dans l’un ou l’autre des camps des favoris, à qui ils tentent parfois de donner des petits coups de pouce dans la mesure de leurs pouvoirs (quoique jamais directement). On pense aussitôt au panthéon grec (et notamment à la célèbre guerre de Troie) ainsi qu’aux romans de Javier Negrete, à commencer par sa « Chronique de Tramorée » dans lesquelles on retrouve le même principe, mais avec une inspiration plus occidentale. Si les dieux occupent un rôle non négligeable dans l’intrigue, ce sont les hommes qui sont bel et bien au centre de ce premier tome. Un premier tome qui comporte d’ailleurs un nombre important de personnages, au point qu’il est dans un premier temps difficile de ne pas s’emmêler les pinceaux, et ce malgré la présence d’un dramatis personae plus que conséquent Heureusement, Ken Liu a trouvé la bonne technique pour parvenir à bien caractériser chacun d’entre eux au moyen de petites anecdotes marquantes qui nous permettent de bien saisir l’essence du personnage, et ainsi de nous le rappeler plus facilement par la suite. Cela permet aussi de rendre plus humains, et donc plus sympathiques, l’ensemble des personnages, qu’ils soient de passage ou occupent le devant de la scène. Mata et Kuni bénéficient d’un traitement encore plus soigné de la part de l’auteur qui cultive au fil du récit les différences entre les deux hommes, ce qui lui permet d’aborder des thématiques sociétales intéressantes et de confronter deux visions du monde et de la politique. On peut toutefois regretter un manque d’équilibre dans le traitement des deux camps, les personnages gravitant autour de Mata étant nettement moins attachants que ceux entourant Kuni. Enfin, on peut saluer la présence de plusieurs personnages féminins particulièrement bien campés, tour à tour habile politicienne, princesse dévouée à son peuple, sœur honorant la mémoire de son frère ou grande stratège commandant à des légions d’hommes. Les femmes sont certes bien moins nombreux que leurs homologues masculins, mais toutes ont le mérite de marquer durablement les esprits.

Premier tome de « La dynastie des Dents-de-Lions », « La grâce des rois » est un roman surprenant par bien des aspects, à commencer par son mode de narration et son univers inspiré de la culture chinoise et mâtiné d’un soupçon de technologie. L’ensemble se lit avec une facilité déconcertante (en dépit d’un nombre de pages conséquent) et, quand bien même ce premier tome pourrait tout à fait se suffire à lui-même, on a hâte de connaître ce que l’auteur réserve aux personnages pour la suite.

Voir aussi : Tome 2

Autres critiques :
Célindanaé (Au pays des cave trolls)
Feyd Rautha (L’Épaule d’Orion)
Jean-Philippe Brun (L’ours inculte)

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

16 commentaires

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