Fiction historique

Cinq branches de coton noir

Titre : Cinq branches de coton noir
Scénario : Yves Sente
Dessin : Steve Cuzor
Éditeur : Dupuis Aire Libre
Date de publication : 19 janvier 2018

Synopsis : Philadelphie, 1776. Mrs Betsy est dépêchée par les indépendantistes américains pour concevoir le tout premier drapeau des futurs États-Unis d Amérique. Sa domestique, Angela Brown, décide alors de transformer cet étendard en un hommage révolutionnaire, en y adjoignant en secret un symbole inestimable… Douvres, 1944. Le soldat Lincoln se morfond dans son camp militaire, entre discriminations raciales et bagarres quotidiennes. Jusqu’à ce qu’il reçoive une lettre de sa soeur, Johanna, annonçant qu’elle a découvert dans les possessions de leur tante décédée les mémoires d’Angela Brown – rien de moins qu’un témoignage d’une rareté et d’une valeur exceptionnelles. Si l’histoire relatée dans ces mémoires est réelle, alors c’est l’histoire des États-Unis qui est à récrire.

Bibliocosme Note 4.0

– Tu as vu ? Il y a un post-scriptum au dos de la lettre… « PS : un détail pour ta future thèse de fin d’études. Ici, en Europe, les soldats noirs américains ont leur propre signe de la victoire, u’ double ‘V’ réalisé avec chaque main. Le premier ‘V’ est pour la victoire contre les Nazis. Le second est pour notre victoire contre l’Amérique ségrégationniste.

   Scénariste dont le talent n’est plus à démontrer après avoir apporté sa pierre à de grandes saga telles que XIII, Thorgal ou encore Blake & Mortimer, Yves Sente retrouve le temps d’un roman graphique le dessinateur Steve Cuzor avec lequel il a déjà travaillé, sur XIII justement. Les deux auteurs nous embarquent dans un pan de l’Histoire des États-Unis à deux époques différentes. Celle de l’indépendance en 1776, et celle de la Seconde Guerre mondiale.


Coincés près de Douvres pour l’opération Fortitude qui consiste à faire croire aux nazis que le débarquement allié aura lieu dans le Nord de la France, Lincoln et deux de ses copains GIs rêvent d’en découdre sur les champs de bataille et de dézinguer du nazi. Mais parce qu’ils sont noirs, c’est la seule tâche que des États-Unis ségrégationnistes daignent leur confier. Lincoln se voit enfin confier une mission lorsque sa soeur, étudiante en Histoire et restée au pays, découvre un étrange journal qui relate la création de la première bannière étoilée cousue par Betsy Ross à la demande de George Washington. Promptement intégré aux fameux Monuments Men, Lincoln doit aller récupérer ce drapeau, volé en 1776 par un mercenaire hessois et repéré en Allemagne.

Cinq branches de Coton noir est d’abord une histoire très intéressante pour différentes raisons. D’une part le peu d’évolution que connaît la situation des afro-américains jusqu’à la moitié du XXème siècle est très bien traitée tout au long de l’album. Leur situation est vue du point de vue Américains, évidemment, mais celui des nazis également. Quelques références intéressantes sont d’ailleurs glissées par Yves Sente. Aussi, si Hitler avait préféré quitter le stade lors des JO de Berlin en 1936 pour éviter de devoir serrer la main de Jesse Owens, l’athlète noir n’avait pas été davantage reçu par le président Roosevelt à son retour. Qu’il s’agisse du XVIIIème siècle ou du XXè siècle, qu’ils soient civils ou militaires, ils sont toujours aussi dénigrés, insultés et relégués aux tâches les plus ingrates. Jusqu’à la dernière page de Cinq branches de Coton noir, le scénariste continue de traiter ce sujet. Ensuite, cette incursion dans la révolution américaine et le retour sur la naissance de la première bannière étoilée puis sa recherche qui nous emmène en pleine Seconde Guerre mondiale elle aussi passionnante. On y suit donc les pérégrinations de nos trois Monuments Men noirs depuis le débarquement en Normandie à leur incursion en territoire nazi, en passant par Paris en pleine libération. Peut-être ces héros manquent-ils un peu de personnalité, mais pas de courage. Si l’introduction prend relativement son temps, le rythme s’accélère nettement dans la deuxième partie de l’album, en somme, à partir du moment où les trois soldats posent le pied sur le sol français, l’action prend clairement le dessus. Yves Sente n’en maîtrise pas moins pour autant son très bon scénario sur le bout des doigts, y glissant quelques petites référence au cinéma, d’Inglorious Basterds au film éponyme de George Clooney, Monuments Men.

Au dessin, le trait de Steve Cuzor n’est pas sans rappeler les classiques albums de XIII, avec un style réaliste qui sied évidemment parfaitement au propos et à l’ambiance de ces Cinq branches de coton noir. Les personnages sont particulièrement soignés, à l’image de ces petits portraits qui viennent ponctuer l’ouverture des chapitres. Les environnements ne sont pas moins soignés, depuis les avions qui survolent Douvres aux Ardennes sans oublier les différentes villes traversées, que ce soit Philadelphie au XVIIIème siècle ou Paris en 1944. C’est très beau du bout en bout, et j’ai particulière adoré les planches enneigées des Ardennes. Le petit bémol que j’ai à apporter concernant l’album est le choix d’une palette de couleurs relativement réduite avec des planches souvent monochromes. La partie XVIIIème siècle se voit assez classiquement parée de teintes ocres et sépia, les Ardennes de bleu tandis que d’autres ambiances sont baignées dans le vert ou le rouge. L’ensemble donne par conséquent l’impression de manquer un peu de relief et découpe l’album de façon un peu abrupte.

   Grâce à un scénario passionnant d’un bout à l’autre, entre deux siècles et aux multiples ambiances, Cinq branches de coton noir est assurément une lecture à ne pas manquer pour tout amateur d’histoire. Pour les autres aussi, heureusement !

Autres critiques : ?

Élevé à l'université Kaamelott option Simpson, plus ou moins historien moderniste, geek invétéré (on ne se refait pas). Revenu il y a fort longtemps à la bande dessinée par le manga, et tombé désormais dans la marmite BD-comics-manga, s'essaye à la critique.

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