Fantastique - Horreur

Amaz

Titre : Amaz
Auteur : Lisa Goldstein
Éditeur : Hélios (Les Moutons Électriques)
Date de publication : 2017 (septembre)

Synopsis : Pour le Dr. Mitchell Parmenter, orientaliste américain venu passer un an dans la cité d’Amaz pour y étudier une ancienne épopée dont il a retrouvé le manuscrit, comme pour son épouse et ses deux filles, c’est un séjour plein de promesses qui s’annonce. Presque des vacances. Mais Amaz, où s’interpénètrent l’univers magique des Mille et une nuits et le climat conflictuel du Moyen-Orient contemporain, n’est pas une ville de tout repos. Les rues semblent y changer de tracé d’un jour à l’autre, les nouvelles se transmettent par l’intermédiaire de jeux de cartes divinatoires, une guerre séculaire y oppose secrètement les partisans de deux types d’écriture… De touristes, les Parmenter deviennent explorateurs d’un monde encore plus étranger qu’ils ne l’imaginaient, puis protagonistes d’une quête dont l’enjeu est la texture même du réel.

Bibliocosme Note 4.0

Les touristes alimentaient la rue du 25-Novembre dans la monnaie d’Amaz, mais les brocanteurs disposaient d’une autre devise. Le soir, après la fermeture des boutiques, ils se rendaient les uns chez les autres, buvaient du café, du rhum, échangeaient des histoires. Presque chaque semaine survenait dans la rue un incident susceptible de donner lieu à une épopée. Dans le cas contraire, on en fabriquait un.

Lisa Goldstein a depuis quelques mois le vent en poupe chez Les Moutons Électriques ! Après « Sombres cités souterraines », voilà en effet que paraît en poche un autre roman de la main de l’auteur, non inédit cette fois puisque déjà publié en 1991 par Denoël sous le titre « Touristes ». Le texte est court mais appréciable et met en scène les quatre membres de la famille Parmentier, partis pour une année à l’étranger afin que le père puisse mener à bien ses recherches anthropologiques. Leur destination ? Amaz, un pays fictif et jamais situé géographiquement mais d’influence indéniablement moyen-orientale, que ce soit en terme de climat, de décor ou de mode de vie. Dès les premières lignes, on plonge dans ce décor qui se révèle d’autant plus exotique qu’on ne sait finalement presque rien de lui, ou du moins rien d’autre que ce que laisse rarement échapper l’auteur : le pays aurait été colonisé par le passé par les Espagnols, il n’entretient aucun lien officiel avec les États-Unis, et surtout il se trouve menacé par un groupe armé communiste qui menace de s’emparer du pouvoir par la force et fait peser un lourd climat sur la ville. D’Amaz, on apprend également qu’elle constitue un lieu touristique privilégié pour les Occidentaux fortunés qui se gardent toutefois de se mêler aux locaux et préfèrent la sécurité de leurs hôtels de la ville haute aux bas-fond de la capitale. Les Parmentier, eux, n’ont guère le choix puisque leur voyage repose en fait sur un échange de maison avec un autre universitaire originaire d’Amaz qui réside au cœur de la ville. Or tous ne s’acclimatent pas de la même façon à ce changement de décor…

Le roman est une belle réussite, et ce par bien des aspects, à commencer par les quatre protagonistes, membres d’une famille parfaite en apparence mais en fait totalement dysfonctionnelle. Le père est tellement absorbé par son travail et ses recherches qu’il préfère fermer les yeux sur les problèmes que rencontre sa famille. La mère est quant à elle en pleine dépression et sombre dans l’alcoolisme, tandis que la fille aînée reste cloîtrée dans sa chambre et développe une véritable obsession pour le monde imaginaire qu’elle s’est créée. Seule la cadette ne semble pas présenter de troubles particuliers et tente tant bien que mal de faire le lien entre les membres de son entourage. Les personnages sont donc loin d’être parfaits, et c’est justement ce qui les rend aussi touchants : on comprend que le père agit davantage par maladresse qu’indifférerence, que la mère est en permanence sous-estimée et a l’impression d’être passée à côté de sa vie, et que la fille aînée est en réelle souffrance. Si la famille est une des thématiques centrales du roman, celui-ci aborde également un certain nombre d’autres sujets parmi lesquels le tourisme, ou plus précisément la manière dont les Occidentaux se comportent dans les pays étrangers qu’ils visitent. L’auteur insiste notamment sur la condescendance dont font preuve la plupart des touristes à l’égard des locaux et de leurs coutumes alors même que leur vision du pays visité se limite bien souvent aux plages de sable blanc et aux beaux hôtels, justement inaccessibles aux autochtones.

La plus grande réussite du roman réside cela dit dans l’ambiance très particulière dans laquelle baigne le récit qui se rapproche par cet aspect du « réalisme magique ». Car au delà de l’acclimatation de la famille Parmentier à leur nouvelle vie, l’ouvrage nous invite à participer à une quête ancestrale à la recherche d’un artefact devenu légendaire : l’épée du roi des Gemmes. La ville d’Amaz prend une dimension tout à fait différente à mesure que la frontière entre le réel et le surnaturel se fait de plus en plus ténue. Il y a par exemple ces cartes à jouer dont certaines figures ressemblent à s’y méprendre à des personnages bien réels. Il y a aussi et surtout ces rues dont le tracé semble avoir évolué à mesure que ses habitants prenaient partis pour l’un ou l’autre des deux camps à la recherche de l’épée. Certaines des trouvailles de l’auteur sont plutôt ingénieuses comme c’est le cas notamment de ces chapitres consacrés aux différents commerçants de la rue du 25-Novembre. A chaque habitant, Lias Goldstein associe un joli conte, tour à tour cruel ou poétique, relatant soit l’origine de la querelle opposant Mama et Rose bleue, la cause de la disparition de l’oreille de Zem, ou encore la cause de la disparition de la femme d’Harhano. Un autre aspect qui m’a personnellement beaucoup séduite (et parlera, je pense, à tous les amateurs de fantasy) réside dans le monde imaginaire élaboré par Angie et Casey, les deux filles des Parmentier : qui n’a jamais rêvé de partager avec un autre un univers à soi, avec ses propres codes, sa propre langue et ses propres références ?

Lisa Goldstein signe avec « Amaz » un joli texte qui séduit aussi bien par la profondeur de ses personnages que par son ambiance exotique qui joue avec les frontières du réel. Voilà une auteur que je suis ravie d’avoir découvert et dont j’entends bien lire les autres ouvrages disponibles, à commencer par « L’ordre du labyrinthe » paru ce mois-ci chez Les Moutons Électriques.

Autres critiques :  ?

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

10 commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.