Fantasy

Joe, l’aventure intérieure

Titre : Joe, l’aventure intérieure
Scénariste: Grant Morrison
Dessinateur: Sean Murphy
Éditeur : Urban Comics
Date de publication : 5 octobre 2012

Synopsis : Il doit déménager sous peu de la maison qu’il occupait avec sa mère. Mais lors d’une crise d’hypoglycémie, Joe va se retrouver projeté dans un monde d’heroic fantasy et partir dans une quête intime et fantastique pour assurer sa survie.

Bibliocosme Note 5.0

-Le foyer est prêt à tenir le siège jusqu’à la fin des temps. S’il le faut, nous attendrons que la mort meure… mais sans répondre à ses attaques, sans l’affronter, car ce combat est sans espoir. Nous créerons un monde où elle n’entrera pas. Sans chevaliers,
sans enfants, sans braves capitaines. Sans précipiter les meilleurs dans le labyrinthe. Le Foyer est le dernier havre de tous les voyages.
– Qu’est-il arrivé aux étoiles ? Le ciel est tout noir.
– Le peuple n’a pas besoin d’étoiles. Ils t’ont toi.

    A l’occasion du festival Quai des Bulles de Saint-Malo, Urban Comics a eu la bonté de m’organiser une interview avec un des illustrateurs américains les plus en vogue du moment et dont je suis un fervent admirateur, Sean Murphy, dont j’ai déjà chroniqué les deux excellents volumes de Tokyo Ghost et dont le Batman White Knight commence seulement à être publié aux Etats-Unis. Pour ne pas paraître trop ridicule devant le monsieur, j’ai pris le temps de réviser un peu mon Sean Murphy. Joe, l’aventure intérieure (ou Joe the Barbarian en VO), écrit par Grant Morrison, lui aussi très à la mode, propose un voyage merveilleux dans le monde halluciné d’un enfant diabétique.

    Ne jamais sortir sans sucreries à portée de main, tel est le conseil prodigué à Joe par sa mère pour palier toute crise d’hypoglycémie en le déposant avant d’aller bosser. Mais comme le raconte si bien Joe lui-même, pas facile de suivre ces conseils quand en sortie scolaire au cimetière militaire où repose son père, les caïds de la classe font main basse sur son mars snickers lion, bref, sa barre chocolatée. Le manque de sucre ne se fait pourtant pas sentir immédiatement, Joe réussit sans problème à rejoindre sa maison, son antre même, avec son train électrique suspendu et son lit perché. C’est de là haut que la crise survient et rapidement le manque critique de sucre fait dériver Joe du monde réel, dans sa maison où les plombs ont sautés, à la recherche d’une canette de soda, vers un monde fantastique. Jouetville y est envahi par la mort rampante à mesure que la lumière quitte le ciel.

    Placer la maladie au centre du récit et en faire l’étincelle de cette hallucination modèle géant pourrait sembler au mieux exagérer, au pire carrément illogique. Pourtant, le médecin et romancier Martin Winckler (et traducteur d’ailleurs ici) insiste dans sa préface sur tous les troubles que peuvent entraîner la maladie. L’Aventure intérieure avait d’ailleurs été plutôt bien accueillie par le milieu pour son sérieux dans la description du diabète. La vie d’un jeune garçon diabétique est pour le moins un sujet original pour une bande dessinée mais Grant Morrison n’a cependant pas coutume de livrer des scénarii aussi simple. L’approche de la maladie par le scénariste ne se fait pas dans l’optique d’apitoyer le lecteur, au contraire, elle permet de plonger celui-ci, à travers ses symptômes, dans le monde de l’enfance, des souvenirs et de l’imagination. L’aventure de Joe se déroule donc dans deux univers, l’un réel et l’autre dans lequel son combat contre la mort est transposé à Jouetville, monde dans lequel ses jouets prennent vie et sont les preux chevaliers du royaume. L’alternance entre les deux mondes se fait parfaitement, les deux voyages de Joe ne forment finalement qu’un seul et même cheminement. Ainsi, après avoir malencontreusement oublié de fermer le robinet de la salle de bains, l’eau entame la descente de l’escalier de la maison familiale, tandis qu’un torrent dévale la montagne que doit descendre Joe dans son monde intérieur. On pourrait croire à des moments d’accalmie quand Morrison nous fait reprendre pied dans la réalité, il n’en est rien en fait. Joe, l’Aventure intérieure, est un récit palpitant. Arpenter une maison en pleine crise d’hypoglycémie est une aventure recelant maints dangers. L’aventure intérieure est une histoire fantastique, bourrée de références à la pop culture, touchante aussi parce qu’il semble difficile de ne pas s’attacher au fragile héros qu’est Joe. Dans sa quête de la lumière disparue de Jouetville (et du disjoncteur dans la cave), Joe est accompagné par d’autres personnages eux aussi bien écrits, avec leur propre histoire. Chaak le rat samouraï/rat de Joe, Smoot le nain géant et bien d’autres, sont des héros auxquels on s’attache tout autant.

    Admirateur du travail de Sean Murphy bien avant d’avoir parcouru Joe, l’aventure intérieure, il faudra bien pourtant en convenir, le travail de l’illustrateur est absolument merveilleux. Quand il opère dans le monde réel avec des premières planches superbes et grisonnantes dans le cimetière où dans cette maison où chaque angle de vue la fait paraître labyrinthique autour de son escalier central, Murphy impressionne déjà par l’ambiance mélancolique qu’il parvient à coucher sur le papier. Mais que dire encore lorsque les couleurs de Jouetville vous explosent les mirettes. C’est un peu la chambre d’Andy de Toy Story qui prend vie, l’aventure, l’épique, un cran au-dessus. Les figurines Batman, Superman, les Transformers, les Action Man, les nounours de Joe prennent vie et se jettent dans la mêlée. Sean Murphy fait sans doute aussi appel à ses propres souvenirs, aux souvenir de tous, sans doute. Une gameboy géante qui traîne, des Lego entreposés ça et là. Bienvenue en enfance ! Les personnages sont franchement réussis, de Joe à la Mort en passant par le génial rat samouraï, leurs expressions et leurs mouvements sont superbement rendus, le tout intégré à un découpage somme toute classique, mais très fluide et qui contribue à une aventure sans temps mort.

Mieux vaut tard que jamais, comme on dit. Joe, l’aventure intérieure est un récit d’aventure magique et touchant, sublimé par un dessin qui l’est tout autant.

Autres critiques : ?

Élevé à l'université Kaamelott option Simpson, plus ou moins historien moderniste, geek invétéré (on ne se refait pas). Revenu il y a fort longtemps à la bande dessinée par le manga, et tombé désormais dans la marmite BD-comics-manga, s'essaye à la critique.

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