Fiction historique

Katanga, tome 1 : Diamants

Titre : Diamants
Série : Katanga, tome 1
Auteur : Fabien Nury
Dessinateur : Sylvain Vallée
Éditeur : Dargaud
Date de publication : 2017 (mars)

Synopsis : En 1960, après quatre-vingts ans passés sous la domination coloniale belge, le Congo proclame son indépendance ; moins de deux semaines après, la riche province minière du Katanga fait sécession. Le Congo et le Katanga entrent immédiatement en guerre ; au coeur du conflit : la possession des territoires miniers. De nombreux massacres et exodes de civils s’ensuivent. L’ONU impose alors sa médiation et l’envoi de Casques bleus sur place… Dans le même temps, une horde d’ignobles mercenaires est recrutée pour aller libérer les exploitations minières occupées… Et un domestique noir, Charlie, tord le cou au destin en mettant la main sur un trésor inestimable : 30 millions de dollars de diamants… ce qui fait de lui le Noir le plus recherché du Katanga.

Tu as tué 300 personnes, hommes, femmes, enfants. On t’a médaillé pour ça. On affrète des avions rien que pour toi. Tu es quelqu’un. Tu es un guerrier.
Un gamin dans une rizière. Un boche qui lève les bras. Une fille algérienne, avec une bombe. Tous tués. Une idée qui te trotte dans la tête. Eux au moins,
se battaient pour quelque chose.
Et toi ?

1960, alors qu’un peu partout les empires coloniaux s’effondrent sous le coup des indépendances (la France est en pleine guerre d’Algérie), le Congo Belge, qui fut longtemps la propriété personnelle du roi, sort enfin d’une dure domination coloniale. Le sol riche en diamants, cuivre et autres métaux ou minerais précieux font des envieux. A peine l’indépendance est elle proclamée que la province du Katanga, aux mains de Moïse Tshombe, fait sécession, soutenue par l’UMHK (Union Minière du Haut Katanga), gigantesque entreprise que les tendances communistes du président du Congo indépendant Patrice Lumumba inquiète. L’ONU, prenant la mesure des tensions, envoie une mission de maintien de la paix. De son côté, Bernard Forthys, PDG de l’UMHK, décide de constituer une milice de mercenaires afin de mieux protéger ses intérêts.

A grands traits, voilà le contexte dans lequel prend place la nouvelle bande-dessinée de Fabien Nury et Sylvain Vallée, duo fort réputé depuis la magistrale série Il était une fois en France. Comme pour leur précédent travail, les deux auteurs insèrent leur récit dans l’histoire, pas si lointaine, de la décolonisation. Le récit mêle ainsi faits et personnages réels mais fait aussi la part belle à l’imaginaire. Nulle intention pour les deux hommes de faire œuvre d’historiens, comme cela est précisé dès l’ouverture de l’album. Conseiller spécial du Ministre de l’Intérieur katangais et du directeur de l’UMHK, Armand Orsini est chargé de recruter une équipe de mercenaires en métropole. En pleine période de guerres d’indépendances, nombre de démobilisés peu fréquentables de la Seconde Guerre mondiale, de l’Algérie ou de l’Indochine vont répondre à l’appel. Felix Cantor, qui n’est pas sans rappeler Lino Ventura, est le premier sélectionné. S’ensuit la constitution de l’équipe des mercenaires, entre héros de guerre retirés et lie de l’armée. Cette séquence n’est pas sans rappeler des scènes analogues dans Les Douze Salopards (ou dans le moins classique Armaggedon). La tâche qui échoit à ces hommes d’armes est double : former une milice pour défendre les intérêts de l’UMHK et, dans le secret, exfiltrer du camp de réfugiés sous surveillance de l’ONU le dit « Charlie » qui a donné, de la plus belles des manières, la preuve qu’il possède, bien cachés, 30 millions de dollars en diamants. Hors de question pour l’UMHK comme pour le gouvernement de ne pas faire main basse sur une telle fortune en cailloux.

Retrouver Fabien Nury et Sylvain Vallée aux commandes d’une nouvelle série est un plaisir indéniable. Et l’attente sera longue de voir le second tome poindre le bout de sa couverture. Si cette première partie du récit sert logiquement à planter le décor, le scénario est visiblement, dès l’entame, mené de mains de maîtres. Des personnages intrigants, attachants pour certains, volontairement rebutants pour d’autres, des sous -intrigues à foison et un rythme haletant sont au programme de Katanga. Les dialogues sont très bien écrits, percutants, durs aussi parfois mais tout à fait dans le ton du récit. Parce que Katanga nous plonge dans un récit très sombre, souvent violent, et forcément très en accord avec la réalité de la décolonisation. La France elle-même n’hésita-t-elle pas, après avoir abandonné des pays à leur indépendance, à y opérer dans l’ombre d’une façon similaire ? Bref, une écriture redoutable qui rend impossible de sortir du récit avant d’avoir refermé l’album.

Le comparse de Fabien Nury fait lui aussi très fort. Katanga a tout de la bande dessinée qui pourrait être adaptée sur grand écran un jour. Le découpage de ce premier album est diablement efficace et contribue autant que l’écriture à la construction d’un récit sans temps mort. Plongées, contreplongées, retour en arrière sur tons gris, tout y passe et avec brio. D’intenses scènes d’action, elle aussi très télégéniques, trépidantes, et admirablement mises en scènes. La violence est parfois assez crue d’ailleurs. La patte du dessinateur est aisément reconnaissable à travers les personnages. Armand Orsini n’est d’ailleurs pas sans rappeler le juge de Il Etait une Fois en France. Cette galerie de personnages peu recommandables est par ailleurs très réussie. Leurs seuls visages, bien souvent, en disent déjà long sur leurs origines et leurs caractères. Petit et peut-être même seul bémol de cet album, les visages des Africains, ceux des hommes notamment, peuvent sembler un peu caricaturaux avec des lèvres très prononcées. Certes, certaines populations africaines possèdent ce trait propre, mais c’est un peu poussé ici. J’ai pu lire ce reproche ailleurs parfois. N’allez pas croire cependant que les Africains sont constamment relayés au second plan ou dans des situations subalternes. On est Congo, mais ce n’est plus Tintin. Ce ne sont pas les suites de la domination coloniale, mais plus encore de la situation coloniale (dans laquelle les colonisés ont su s’insérer et tirer profit du colonisateur) de George Ballandier qui est dépeinte ici (Désolé, la formation historienne revient au galop).

Connu et reconnu, le duo Nury-Vallée délivre avec le premier tome de Katanga un excellent album dont le succès à venir ne laisse guère de place au doute. Prenant, haletant, intéressant, beau tout simplement, la lecture et le visionnage ne laisseront pas indemnes. La suite se fera longuement attendre. En espérant ne pas m’être trop étalé sur le contexte au point de vous dégoûter d’une acquisition indispensable.

Voir aussi : Tome 2

Élevé à l'université Kaamelott option Simpson, plus ou moins historien moderniste, geek invétéré (on ne se refait pas). Revenu il y a fort longtemps à la bande dessinée par le manga, et tombé désormais dans la marmite BD-comics-manga, s'essaye à la critique.

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