Science-Fiction

La Fenêtre de Diane

La Fenêtre de Diane

Titre : La Fenêtre de Diane
Auteur : Dominique Douay
Éditeur : Les Moutons électriques (La Bibliothèque voltaïque) (fiche officielle)
Date de publication : 3 septembre 2015

Synopsis : Aux confins de la galaxie dérive une planète artificielle, Le Livre, dont la fonction est de conserver, tout au long de ses interminables galeries que parcourent les marques-pages, l’histoire de toutes les Terre qui composent la Protée.
Ces déplacements ne sont cependant pas sans risques : en témoignent les fantômes errant dans les profondeurs du Livre, voyageurs imprudents ou intelligences artificielles. Je m’appelle Gabriel Goggelaye et je vis bien longtemps avant qu’on ne découvre Le Livre. Pour moi, il y a une Terre et une seule. Des personnages fantomatiques, il m’arrive d’en voir. Certains obéissent à la Voix, d’autre pas. En face de mon bureau, il y a une fenêtre, et derrière cette fenêtre, il n’y a rien. Un jour, je briserai l’une des vitres et je pénétrerai dans ce lieu qui n’existe pas.

Note 3.0

Pour le commun des mortels, paraît-il, le temps finit par avoir raison des regrets, des rancœurs, des petits désastres quotidiens de l’existence… Moi, je n’ai pas la chance de ceux qui peuvent laisser leur mémoire s’arranger avec la réalité. Pour moi, les souvenirs sont une réplique intangible de ce qui s’est passé, impossible de badigeonner de rose des images ou des sensations, des événements souvent minuscules qui ont pour décor un univers constitué d’un camaïeu de gris.

Un peu à l’image de Poupée aux Yeux morts (que j’ai adoré), de Roland C. Wagner chez le même éditeur, La Fenêtre de Diane, de Dominique Douay chez Les Moutons électriques, mérite une lecture attentive à laquelle il faut être bien préparé à l’avance.

Nous suivons le tout simple et tout humble Gabriel Goggelaye qui, dès la première scène, depuis ses plus longtemps souvenirs d’enfance et quasi constamment, voit des fantômes que lui seul perçoit. Il a progressivement ressenti ses présences en des moments où lui-même semble déclencher des pouvoirs, au plutôt des possibilités, qu’il peine à s’imaginer. Ces personnages secondaires (que j’ai crus dans les premiers chapitres être les principaux, j’avoue) naviguent plus ou moins consciemment dans la Protée (l’ensemble de toutes les réalités possibles) à l’aide d’une planète particulière, synthétique : le Livre. À grands coups de souvenirs, de voyages temporels et de balancements entre des réalités alternatives, l’aventure de Gabriel Goggelaye fait basculer le destin de ces différents intermédiaires, mais également celui des simples individus qu’il croise sur sa route, ainsi que celui des différentes réalités qu’il finit par altérer.

N’ayant jamais lu de romans de Dominique Douay, j’attaquais son œuvre sans aucun apriori. Même si le rendu final me fait rester sur une note moyenne, en revanche, il faut bien le dire, je suis en accord total avec la quatrième de couverture. En effet, on nous y indique que l’auteur se révèle dans ce roman inédit à la fois « visionnaire comme un Robert Charles Wilson, intime comme un Patrick Modiano [et] hanté par Philip K. Dick ». Rien que ça, me direz-vous ! Et malgré une formule qu’on pourrait juger au premier abord bien excessive, je ne peux pas décemment démentir cette affirmation. Tout d’abord, au niveau de l’imaginaire ouvert, c’est vrai que Dominique Douay nous propose pas moins que l’ensemble des possibles dans cette Fenêtre de Diane, par l’intermédiaire de l’existence de cette Protée réunissant toutes les réalités existantes ; c’est en se baladant sur ses différents segments que nous suivons les aventures du héros principal. Ensuite, l’auteur décrit de façon vraiment réussie l’intimité d’un héros de base totalement étonné d’avoir quelque chose d’intéressant, mais don qu’il accepte rapidement comme une folie qu’il doit apprendre à refouler : ce sont là les scènes que j’ai préférées puisque Dominique Douay réussit à faire vivre son personne de Gabriel avec une simplicité qui tend à le rendre vrai et proche ; et même quand il s’éloigne, le temps d’un chapitre ou deux, pour esquisser la vie de personnages secondaires, il réussit à être passionnant sur ces quelques paragraphes alors que nous quitterons ces seconds couteaux juste après. Enfin, l’obsession de Philip K. Dick est totalement véridique, puisque les références à ses œuvres sont, évidemment pourrait-on dire vu le sujet choisi, omniprésentes, avec là aussi une large réflexion sur la « réalité » des choses, de nos vies, mais cela devient beaucoup moins subtil quand la mort même de Philip K. Dick s’immisce à plusieurs reprises pour servir d’événement relais, comme si cela faisait office de justification obligatoire ; ce détail-là n’était pas nécessaire, à mon avis.

Contrairement à beaucoup de romans que j’ai lus, ce ne sont pas les personnages qui pêchent ici ; ceux-ci sont bien campés, même si on aimerait toujours en savoir davantage sur eux évidemment, ils sont relativement flous en matière de visualisation mais du côté de leur esprit, la distinction entre eux est déjà bien plus aisée. Non, c’est plutôt l’intérêt suscité par la structure qui est gênant ; d’ailleurs, la structure même du début du roman est gênante ; alors qu’elle s’ordonne de façon plus logique une fois les cinquante premières pages passées, les premiers chapitres nous cueillent volontairement dans un nuage diablement flou dont les éléments pour s’en sortir sont insaisissables à ce moment. Alors on conjecture, un peu, beaucoup, à la folie, mais en fait, avec le recul bien sûr, ce n’est pas du mystère bien entretenu que nous suivons, mais plutôt un contexte mal dégrossi. Bien sûr, on devine que l’imaginaire de l’auteur est foisonnant, mais à force d’allusions sans fil directeur, l’intérêt devient vague, si vague, que le voyage entrepris pourrait ne plus être compris, à l’image de son titre, La Fenêtre de Diane étant la métaphore très englobante de tous les allers-retours entre la réalité supposée de Gabriel Goggelaye et celle des autres voyageurs du Livre. D’ailleurs, le simple choix de cette planète omnipotente, omniprésente et « omni-archivante » montre bien l’ambition de l’auteur en ce qui concerne son sujet : il y a sûrement derrière ce choix une façon de présenter à son lecteur sa propre façon d’aborder la littérature, l’imaginaire, le Livre étant l’ouverture parfaite et totalement libre de n’importe quelle histoire passée, présente ou future.

Notons quand même que de nombreuses bonnes intentions émaillent ce roman si riche. L’auteur tente ainsi, par exemple, de faire comprendre à son lecteur la complexification à l’extrême de l’histoire à partir du moment où les réalités viennent à se chevaucher : des scènes qui se rejouent avec un détail qui bouleverse la donne, des paragraphes interrompus quand la réalité est bouleversée, etc., les petits jeux d’écriture qui apparaissent ainsi démontrent quand même de la difficulté véritable à écrire une telle œuvre. Mais alors, face à un tel niveau d’enchevêtrement de références, d’allusions et de sagesse, que penser de la fin ? Personnellement, qu’elle est beaucoup trop facile. Certes, le lecteur s’attendra, je pense, à un tel dénouement, mais finalement, au vu de ce que l’auteur a préparé tout au long du roman, une telle sortie renie l’ouverture de son imaginaire, puisque les possibles sont d’un coup rabattus vers une ligne forcément cousue d’avance (impossible d’être plus clair sans dévoiler les principaux fils de l’intrigue).

Les Moutons électriques 2015.09.10

Du point de vue éditorial, les habitués des Moutons électriques seront en terrain conquis puisque nous retrouvons un cartonnage bien connu (made in République Tchèque d’ailleurs), mais avec une teinte de gris qui le fait un peu ressortir au sein de la Bibliothèque voltaïque. Comme sur les nombreux ouvrages de cette maison d’édition qu’il a illustrés (dont Sorcières ! ou la version luxueuse de Gagner la guerre), Sébastien Hayez nous livre ici une couverture plutôt sobre qui cherche à coller au plus juste au titre qui la surplombe, sans en faire des tonnes : Gabriel devant une représentation de la Fenêtre de Diane, au sein d’un décor mystérieux et grisâtre.

La Fenêtre de Diane est donc bien un roman très ambitieux et sûrement foisonnant pour les habitués du style de Dominique Douay. Cependant, le souffle épique attendu par une telle fresque mêlant voyage temporel, réalités alternatives et pensées psychologiques est plutôt absent, au bénéfice d’une réflexion sur le jeu constant entre l’auteur et son lecteur, et la place que chacun d’eux doit occuper.

Autres critiques : C. Luce (Amicale des Nids à Poussière) et Vil Faquin (La Faquinade)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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