Science-Fiction

Sovok

Sovok

Titre : Sovok
Auteur : Cédric Ferrand
Éditeur : Les Moutons électriques (La Bibliothèque voltaïque)
Date de publication : 6 février 2015

Synopsis : Moscou, dans un futur en retard sur le nôtre. Manya et Vinkenti sont deux urgentistes de nuit qui circulent à bord de leur ambulance volante de classe Jigouli. La Russie a subi un brusque infarctus politique, entraînant le pays tout entier dans une lente agonie économique et une mort clinique quasi certaine. Le duo d’ambulanciers est donc le témoin privilégié de la dégradation des conditions de vie des Russes. Surtout que leurs propres emplois sont menacés par une compagnie européenne qui s’implante à Moscou sans vergogne.
Et puis un soir, on leur attribue un stagiaire, Méhoudar, qui n’est même pas vraiment russe, selon leurs standards. Ils vont quand même devoir lui apprendre les ficelles du métier.

Note 4.0
 
Coup de coeur

Il sait bien qu’une entrevue pour un travail, c’est la rencontre de deux menteurs qui s’entreprennent réciproquement. L’un se met à son avantage en embellissant des emplois merdiques et en montant en épingle ses petites réussites, l’autre garantit qu’il y aura des possibilités de prendre du galon et que la paye suivra. Même que le café sera gratuit, tiens.

Sovok : adj. Arg. Qui désigne les individus et les idées qui sont profondément imprégnés de réminiscences nostalgiques de l’ex-URSS. Il est clair qu’avec ce roman de Cédric Ferrand, on en a notre comptant, de réminiscences soviétiques. Ça suinte la rouille léniniste et ça crisse entre la faucille et le marteau : avis aux amateurs !


Nous retrouvons ici le format souple des Moutons électriques (photo de leur blog), le même que pour Wastburg, c’est bien vu pour harmoniser nos bibliothèques…

Quelques lignes techniques sur les ambulances miteuses stockées dans une église en délabrement et nous voilà reparti dans le style décalé et gouailleur de Cédric Ferrand : les comparaisons volontairement grand-guignolesques s’enchaînent sans crier gare. Avec ses expressions bien à lui, l’auteur fouille dès le départ les bas-fonds de la société russe (et surtout moscovite) après une déchéance économique et politique ; ce quotidien construit de bouts de ficelle, de coups de bas et de coups de main, entre dépannages divers et dure loi du « tout se paye », est une des marques de fabrique de l’auteur.

Dans tout ce fatras, nous suivons la semaine catastrophique de Méhoudar, qui vient tout juste de décrocher un stage de nuit dans la société d’ambulances, Blijni. Affecté à l’équipe de de Manya et Vinkenti, duo truculent s’il en est, Méhoudar doit rapidement s’adapter afin de répondre aux différents besoins des blessés, des rues encrassés aux hôpitaux submergés. Le fait que Méhoudar est un juif, peu pratiquant, tout frais débarqué du Birobidjan, permet des allusions croustillantes et des comparaisons fines entre les confessions religieuses, mais c’est loin d’être le cœur du récit : il s’agit, le plus souvent, de s’amuser ou de s’apitoyer sur la nécessaire habitude de s’appuyer sur des bouts de ficelle ou des coups fumeux. On ne pourrait citer toutes les bonnes idées induites par ce roman, rien que la « blague » récurrente sur La Pravda (« La vérité » en russe), qui ment comme elle s’imprime, vaut le coup d’œil.

Sovok Blijni

Dès la quatrième de couverture, la trame chronologique est difficile à cerner ; à mon avis, c’est une volonté de l’auteur de se placer dans le temps de façon plutôt floue (même si des indices parsemés et une connaissance de l’univers précisent que nous sommes vers 2025). Un fort aspect steampunk est annoncé, mais il est finalement très léger. Or, c’est vrai que nous retrouvons dans ces pages une tendance « Do It Yourself », puisque les Moscovites sont amenés à se débrouiller seul pour bidouiller, réparer, troquer tout ce qui leur passe sous le nez ; tout cela donne un bon côté punk malgré tout à cette histoire.

De plus, nous sommes dans une Russie post-soviétisme qui en a gardé de lourds travers tout en revenant à organisation plus primaire, comme si la société était partie en déliquescence et que le développement était désormais complètement atrophié : donc, rétro-futurisme certes, mais pas tellement parce que le futur est arrivé plus tôt dans le passé, surtout parce que le futur se dirige vers le passé (vive les phrases cryptiques !). Dans tous les cas, cette Russie n’est pas une vision autre du passé, mais bien une anticipation de ce qu’elle pourrait devenir.

Après Wastburg, l’auteur confirme son aptitude à traiter de la déliquescence de la vie, des sociétés. Le caractère urbain de ses histoires aide beaucoup dans cette optique, puisque la ville est bien souvent le creuset des inégalités et des complots de toutes sortes. Pour cela (et pour rester un petit peu dans la comparaison entre ces deux romans passionnants), Sovok s’appuie sur une trame narrative relativement simple : composer les chapitres en suivant les jours de la semaine où Méhoudar s’est fait recruter en tant qu’ambulancier urgentiste, les heures de nuit rythmant les différents paragraphes. Sans aller jusqu’à répéter le récit sous forme de nouvelles quasi indépendantes les unes des autres comme dans Wastburg, Cédric Ferrand renouvelle son écriture sur des bases malgré tout connues et c’est rassurant pour le lecteur, et ce, au point de voir dans ce récit une tout autre optique narrative. Ainsi, autant dans Wastburg, le récit avait une fin conclusive plutôt prononcée et surtout amenée tout au long du roman (le lecteur était curieux de connaître la suite de la destinée de cette ville frontière, mais le besoin se concrétisait peut-être davantage en une relecture que l’attente d’une suite), autant dans Sovok, le lecteur peut ressentir l’impression de lire une vaste et captivante introduction dont la « conclusion » est une ouverture maîtrisée vers des événements tout aussi captivants. Et tout cela n’est pas pour rien, puisque Sovok est issu de l’univers de jeu de rôle éponyme. À défaut de suite à ses deux ouvrages, nous attendons donc d’autres « mises en roman » d’univers de jeux de rôle qu’il fait vivre, comme Brumaire, Vermine et bien d’autres…

Sovok se révèle donc une lecture très fraîche, avec le style propre à Cédric Ferrand qui ne déçoit pas avec ce deuxième roman dans la même veine que Wastburg d’un point de vue de la forme mais radicalement éloigné du point de vue du fond. Encore plus que dans la cité fantasy précédente, Sovok incite fortement le lecteur à vouloir revenir dès que possible dans cette Moscou en proie aux foudres du post-soviétisme déliquescent. Et si vous n’êtes pas encore convaincu, alors lisez l’interview de l’auteur et de ses collaborateurs par Jérôme Vincent chez ActuSF.

Autres critiques : Cédric Jeanneret (Reflets de mes lectures), Cornwall (La Prophétie des Ânes), Gromovar (Quoi de Neuf sur ma Pile ?), Nicolas Soffray (YoZone), Nicolas Winter (Just a Word), Ptitetrolle (Lectures trollesques), Sia (Encres & Calames), Thomas Riquet (Mythologica), Vil Faquin (La Faquinade) et Xapur (Les lectures de Xapur)

En guise de dernier avertissement ou plutôt de dernier appât attractif, voici la seule note de bas de page présente dès le début du roman :

Le lecteur non russophone doit partir du principe que toutes les expressions russes employées par Saoul font ouvertement référence à l’appareil uro-génital de son interlocuteur, à la sexualité rémunérée de sa mère, au comportement inverti adopté par son père et au retard mental accumulé par ses enfants. Quand il est en verve, il lui arrive même de combiner toutes ces allusions au sein d’un unique idiotisme.

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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