Divers "transcatégoriques"

La Tartine du Dimanche matin #5 : Les trilogies, nos ennemies ?

III

Psychose personnelle ou obnubilation collective ? Le chiffre 3 est partout.


 

À croire que tout fonctionne que grâce à ce chiffre 3, tant n’importe quel média veut désormais se développer au moins en une trilogie. Car pour en bouffer, de la trilogie, on en bouffe ! Venant évidemment du grec ancien « tri » et « logos », la trilogie est censée réunir trois opus liés par un sujet commun. Pas forcément une suite ordonnée donc !

Le domaine le plus touché, et sûrement de manière la plus visible, est bien sûr l’industrie du cinéma. La systématisation de ce processus popularisée par la saga Star Wars dans les années 1970 n’est pas prête d’être stoppée net. Non content de voir Star Wars se renouveler en une trilogie à chaque génération, certaines franchises comme Spider-Man ne fonctionnent qu’ainsi et la production du premier opus ne semble possible uniquement parce que les revenus d’une trilogie attirent les producteurs. Les exemples sont innombrables, de Matrix à Rush Hour, des Bronzés à Fantômas. Sans détailler chaque exemple, les jeux vidéo ne sont pas mieux : Doom et Mass Effect, disons, où la demande des fans et la construction de scénarios plus complexes mènent avant tout à une plus grande recherche de profit.

De la même façon, les romans usent le filon jusqu’à la moelle. Trop d’entre eux subtilisent cet effet, le plus souvent par souci mal placé de rentabilité, comme la trilogie Cinquante nuances, et cela est visible dans certains des plus grands succès actuels comme Hunger Games ou Twilight. Il est d’ailleurs à noter que ces deux dernières franchises adaptées au cinéma ont vu ou vont voir leur dernier opus, souvent le moins passionnant, être qui plus est divisé en deux parties dans nos salles obscures ! Voyez donc où le vice tripartite nous mène, pauvres de nous ! Il est clair que cette rédaction perpétuelle de trilogies s’inscrit dans la tradition de l’illustre exemple du Seigneur des Anneaux qui utilisait, il faut le reconnaître, particulièrement bien ce format. Tout est une question d’équilibre et beaucoup d’auteurs pêchent par manque d’originalité de leur contenu et ne parviennent pas à remplir le quota de pages qu’ils se sont imposés d’office avec ce format.

Si chacun de ces exemples était bon, voire parfait, il n’y aurait pas à s’offusquer. Malheureusement, entre des suites horripilantes et des filons usés jusqu’au bout du bout, il y a peu à gagner pour le consommateur à suivre des suites de suites, surtout pas en termes d’originalité de contenu ou de renouvellement de thèmes. Alors pourquoi s’acharner ainsi à dénaturer une telle structure et se bloquer l’imagination en une organisation plus que formatée ? Car le problème tient vraiment à la mauvaise utilisation de la trilogie, support méthodique de plans de communication rigoureusement minutés.

C’est vrai, même dans la rédaction de chroniques et de critiques littéraires, il est souvent tentant de suivre un plan en trois parties, plus agréable à lire et à rédiger, et peut-être aussi plus proche de la traditionnelle dissertation universitaire en 3-3-3 : trois grandes parties, trois sous-parties et trois exemples par sous-partie. Doit-on y voir une influence immuable de la Trinité chrétienne tellement ancrée dans notre culture qu’il nous est impossible d’en sortir indemne ? Comme disait ce cher et vénéré Aristote dans sa Poétique, un tout est ce qui est composé d’un début, d’un milieu et d’une fin, certes, mais pour autant, doit-on tout multiplier par trois afin de ne surtout pas faire preuve d’originalité et de créativité ? De même, un trépied a beau ne jamais être bancal, est-ce notre moyen le plus courant de confort domestique ?

Alors, s’il vous plaît, que diable, varions, varions encore et toujours. Visons l’équilibre et surtout choisissons le format adapté à chaque publication. Pour finir, je rappellerai que la « trivialité », en latin « là où aboutissent les trois chemins », désigne le caractère commun, banal, voire péjoratif, des choses. De là à y voir un lien avec notre sujet d’aujourd’hui…

Tout tient donc à l’équilibre. La trilogie, c’est bien beau, mais tout dépend comment on répartit les parts du gâteau.

 

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La Tartine, une volée de mots émiettée au dépourvu, un billet à croquer le dimanche matin entre le petit déj’ et l’apéro. Car le monde des livres reflète toujours une part du réel.

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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