Récit contemporain

Cinquante nuances de Grey

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Titre : Cinquante nuances de Grey (Fifty Shades of Grey)
Série : Trilogie Cinquante nuances (Fifty Shades), tome 1
Auteur : E. L. James
Éditeur : JC Lattès (coll. Romans étrangers)
Date de publication : 17 octobre 2012 (3 avril 2012 en VO chez Vintage Books)

Synopsis : Romantique, libérateur et totalement addictif, ce roman vous obsédera, vous possédera et vous marquera à jamais.
Lorsqu’Anastasia Steele, étudiante en littérature, interviewe le richissime jeune chef d’entreprise Christian Grey, elle le trouve très séduisant mais profondément intimidant. Convaincue que leur rencontre a été désastreuse, elle tente de l’oublier – jusqu’à ce qu’il débarque dans le magasin où elle travaille et l’invite à un rendez-vous en tête-à-tête.
Naïve et innocente, Ana ne se reconnait pas dans son désir pour cet homme. Quand il la prévient de garder ses distances, cela ne fait que raviver son trouble.
Mais Grey est tourmenté par des démons intérieurs, et consumé par le besoin de tout contrôler. Lorsqu’ils entament une liaison passionnée, Ana découvre ses propres désirs, ainsi que les secrets obscurs que Grey tient à dissimuler aux regards indiscrets…

Note 0.5

Premièrement, je ne fais pas l’amour. Je baise… brutalement. Deuxièmement, il y a encore des papiers à signer. Et troisièmement, vous ne savez pas encore à quoi vous vous engagez. Quand vous l’apprendrez, vous risquez de fuir à toutes jambes. Venez, je vais vous montrer ma salle de jeux.

J’ai un fort penchant SM, je l’avoue. Et je l’ai découvert en m’infligeant la lecture (quel vilain coup, mes amis, ma peau, mon âme et mes yeux cuisent encore violemment !) de ce « fameux roman d’amour érotique » (mettez tous les guillemets dont vous aurez besoin). Soulignons que « best-seller » n’est pas forcément synonyme de « mauvais », et heureusement ; toutefois, avec Cinquante nuances de Grey, c’est différent. Aussi, pour ce coup-ci, je m’en vais prendre ma grosse voix d’inquisiteur pour vous lancer un désespéré « Fuyez, pauvres fous ! ».


 

Dès les premières lignes, il est tout de suite clair que tout tourne autour de la rencontre initiale : on se sent mal de penser à Christian, on se sent bien en pensant à Christian, il faut bosser car on pense à Christian, la situation est tendue car on se connaît même pas mais déjà il y a du courant entre nous, et est-ce qu’il faut que je pense au fait qu’il pourrait penser à moi pendant que je pense à lui ? Bref, bref, bref ! J’adore les histoires d’amour, ce n’est pas le problème, mais les vraies, les belles, pas les synthétiques ou les artificielles (bisous à ma chérie, d’ailleurs !). Un mot devrait revenir tonner un peu aux oreilles de ces personnages : crédibilité ! Dès les premiers chapitres (ce sont de menus détails mais comme ils s’enchaînent et que tout se fonde dessus, ça devient très vite agaçant), la caissière dans le plus gros magasin de bricolage du coin devient, quand le héros arrive, à la fois manager et chef de rayon, on a besoin d’un photographe mais on ne pense pas en premier au meilleur ami qui débute dans le métier par une expo d’art, et les étudiantes sont en licence de lettres mais visent un stage dans les télécommunications et l’agroalimentaire… mais bon, j’en demande sûrement déjà trop à ce stade. Car, à ce stade, justement, nous regardons se côtoyer deux personnages vides au possible. Un homme apathique et dominateur face à une femme complexée et demandeuse : avouons que le cliché se pose là, mais tentons d’aller plus loin. Si nous nous en tenons aux deux personnages principaux, les hommes sont pervers et mystérieux, se sentant castrés dès qu’ils ne payent pas l’addition du restaurant, tandis que les femmes sont naïves et d’un esprit peu éclairé. Les femmes sont d’ailleurs forcément désinhibées : rien qu’à l’idée de découvrir les joies sexuelles (bien sûr, elles n’y connaissent rien, elles) et les hommes, eux, ont comme partie anatomique préférée, leur sexe, qui semble guider l’ensemble de leur vie de tous les jours, vie toujours focalisée sur le sexe en général, et le sexe opposé surtout. Ah, les femmes ! Ces êtres, ces fillettes même pourrait-on se dire ici, qui comprennent les choses si vite, mais à qui il faut quand même les expliquer si longtemps… merci aux Cinquante nuances de Grey de ne pas en apporter une seule (nuance) ! Le summum des clichés est atteint, je pense, avec l’importance des hormones féminines, constamment en ébullition dès que ces petits êtres sont un peu choquées : claquer sa conscience pour refouler l’inévitable et y céder avec tellement de plaisir, voilà la thèse de ce roman ! Ces chaudasses en puissance ne sont, je l’espère et je le pense bien, heureusement pas la véritable majorité ; est-ce pour autant un fantasme quasi général ? selon mon entourage non, mais qui sait… les clichés doivent bien survivre, les pauvres.

Et le style ! Quel style, mes amis ! Moi-même, je n’écris pas professionnellement, et c’est bien sûr très difficile d’aligner trois phrases sans être déçu de ce qu’on écrit, mais que diable, nous atteignons là un niveau extrême de bassesse, mais alors quelque chose de bien prononcé ! Le style a le don de sauter du coq à l’âne, dans le genre : « Comment peux-tu ne pas le trouver beau ? Tu veux un sandwich ? Mais je pense encore à lui. Tiens ça doit être ça le désir ». Ce n’est même pas que c’est du cliché à tout-va, car cela pourrait être avenant et agréable, mais véritablement, c’est que l’ensemble est d’une fadeur à faire pâlir un vampire un soir de pleine lune ! L’héroïne rougit, au minimum, dix fois par chapitre (chapitres qui ne sont pas forcément bien longs au demeurant, mais vu la lourdeur du truc, ça prend vite du temps de ne pas s’endormir) ; le moindre frôlement de peau déclenche des tornades de sensations ; les cheveux de monsieur sont attirants parce qu’ils sentent le propre ; et, vraiment, s’il vous plaît, par pitié, nous avions très bien compris que le Christian a le regard gris, qu’il ait le regard furieux, attentionné ou brûlant, voire en fusion (sic !), nous avions déjà capté pour la couleur lors de la première centaine de fois. Tout est ainsi répété continuellement, inlassablement : la lèvre d’Anastasia trouble Christian, les effleurements émoustillent Anastasia, les détails comme la nourriture ou l’état de la voiture prennent des proportions énormes, et à quel point Christian ne veut pas qu’on le touche ; au bout d’un moment, ça saoule, car finalement à donner ces exemples, je vous ai donné toute la substance du livre tellement elle est répétée jusqu’au bout du bout et usée jusqu’à la moelle ! L’incessante répartie « vous satisfaire est notre priorité » m’horripilera à jamais désormais, d’autant plus que, justement, Cinquante nuances de Grey n’est pas satisfaisant.

Dès le début, on peut sentir allègrement que l’atmosphère n’est pas saine du tout. Le mec trace le téléphone portable d’une jeune fille pour la suivre à son bureau, chez elle ou dans des soirées étudiantes, et ça n’inquiète personne. Cela n’inquiète pas plus de monde que « machine » soit schizophrène ? (oui, « machine », parce que j’ai passé un cap et parce que le prénom « Anastasia », dans le contexte, ça ne passe pas) En fait, arrivés à ce point, il faudrait carrément supprimer toutes les pensées de l’héroïne en italique, tant naïves que sottes, ennuyantes et fatigantes, pour au moins nous laisser la possibilité d’imaginer quelque chose de passable : cette « conscience », comme elle l’appelle, puis sa « déesse intérieure » (vous ne rêvez pas, la miss a bien un petit ange et un petit diable dans sa petit tête peu remplie), ne sont là que pour renchérir sur ce qui a déjà été précisé une ligne au-dessus. Bref, de répétitions en redondances, la tautologie et le pléonasme sont là pour combler les vides (et, pour une fois, ce n’est pas sur la blague douteuse que j’attire votre attention). De la même façon, le vocabulaire est plus bas de gamme que jamais : les multiples « oh oui, bébé » rencontrent de passables « allez, un petit coup en vitesse », mais ne valent pas les « jouis pour moi » et autres « je dois te fesser puis te baiser » plus aberrants les uns que les autres. Érotique ne veut pas dire erratique ! Et, par pitié (j’en suis là après avoir fini cette lecture insipide), que soit perdue cette habitude de constamment faire appeler les personnages entre eux par leurs prénoms ou leurs noms : dans la vie de tous les jours, ça ne passerait pas du tout. Tout comme cette manie de retranscrire les mails des protagonistes (avec en-tête et bas de page !! et les « contrats » suivent d’ailleurs le même principe) : c’est d’une facilité sans nom (ça pour gagner des pages, ça en gagne !) et les quelques fautes ou coquilles présentes donnent l’impression que ces parties-là n’ont jamais été relues… De manière générale, il faudrait revoir les notions d’insolence et de domination puisqu’une petite réflexion mène ici directement à l’effronterie (un peu fort, mon bon seigneur !) et deux-trois volées de fessées, ainsi qu’une seule vraie tentative de domination à la toute fin, doivent nous combler en matière de sadomasochisme : c’était sûrement vendeur, mais c’est bien peu assumé. J’imagine que tout est délayé afin de tenir en trois tomes. Personnellement, je m’arrête là ! Nous pourrions aussi déblatérer sur cette autre manie affligeante du « placement des marques » (qui pourrait prêter à sourire s’il n’y avait pas déjà tant de défauts) : entre les ordinateurs, les téléphones portables, les médicaments et les boissons en tous genres, j’ai presque envie de dire « dans quel monde Vuitton ? ». D’autant plus que notre chère héroïne (… sans commentaires…) semble n’en avoir jamais entendu parler, ou si peu avant de s’en faire offrir. Bref, arrêtons-nous là ; arrêtons les frais surtout.

En somme, et compte tenu de tous les retours que j’avais eus, je m’attendais à bien pire, c’est sûr. Pour autant, il y a peu de choses à sauver (au mieux, quelques répliques intéressantes, et encore). L’humble sursaut réveillé au début du dernier chapitre fut achevé brutalement par la morale à deux balles de la conclusion, et dire qu’il y a deux suites à cette chose ! Cinquante nuances de Grey est donc un roman que je ne conseille pas (plein de bonne volonté, je comptais me faire les trois d’une traite, mais j’ai renoncé !). Aux confins du vide et de l’impossible, je m’étonne complètement de lire parfois que ce livre a la réputation d’être « enfin » LA littérature érotique écrite par une femme selon un point de vue féminin : eh bien, si c’est cela le point de vue féminin sur la sexualité ou la domination, il va falloir franchement revoir vos petits principes ! Un petit tour du côté du Trône de fer ou de Kushiel (pourtant pas centrés sur l’érotique) vous en offrirait bien davantage tout en justifiant chaque scène sans voyeurisme et en faisant appel à une certaine part de culture…

Pour vraiment finir, j’ai l’impression d’avoir lu pas mal de choses bien différentes maintenant et ça me fait vraiment de la peine de devoir mettre autant les formes pour une lecture aussi aberrante, alors si j’avais dû expédier cette critique, j’aurais dit que vous avez là l’histoire la plus mièvre au monde relatant la non-initiation à de la fausse sexualité d’une gourdasse qui ne connaît rien, par un macho cynique et complètement à côté de ses pompes. Fuyez donc, pauvres fous !

Autres critiques : Alex (Les Lectures d’Alex), Manon (Manon se Livre) et Valou (Les Quotidiennes de Val)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

Aucun commentaire

  • Chrisdu26

    Devant l’engouement de la gente féminine j’avoue avoir acheté ce livre l’hiver dernier mais je ne l’ai toujours pas lu… Ben je crois bien qu’il va attendre encore un peu… … 🙂

  • Chrisdu26

    Promis je le lirai et ferai une critique, c’est vrai que tu m’as un peu passé l’envie et puis j’ai tellement de livres intéressants à lire, du coup Nuances de Grey est passé en fin de liste 😉

  • Escrocgriffe

    On parle parfois de l’adaptation ratée d’un best seller qui donne un film médiocre, il arrive parfois qu’un roman quelconque inspire un beau long-métrage. Mais là, je me demande s’il est déjà arrivé qu’un livre pourri accouche d’un film tout aussi mauvais… Je suis bien content de les avoir boycotté, merci d’avoir fait le sale boulot de critique afin de m’éviter ces purges…

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