Récit contemporain

Cher pays de notre enfance

Cher pays de notre enfance

Titre : Cher pays de notre enfance
Scénaristes : Étienne Davodeau et Benoît Collombat
Dessinateur : Étienne Davodeau
Éditeur : Futuropolis (fiche officielle)
Date de publication : octobre 2015

Synopsis : C’est la mort du juge Renaud, à Lyon, le 3 juillet 1975, premier haut magistrat assassiné depuis la Libération. Ce sont des braquages de banques, notamment par le fameux gang des Lyonnais, pour financer les campagnes électorales du parti gaulliste au pouvoir. Ce sont les nombreuses exactions impunies du SAC (le Service d’Action Civique), la milice du parti gaulliste, dont la plus sanglante fut la tuerie du chef du SAC marseillais et de toute sa famille à Auriol en 1981 (ce massacre aura bouleversé la France entière, et aura entraîné la dissolution du SAC par le parlement en août 1982). C’est l’assassinat de Robert Boulin, ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre, maquillé en suicide grossier dès la découverte du corps dans cinquante centimètres d’eau, le 30 octobre 1979, dans un étang de la forêt de Rambouillet. Ce sont 47 assassinats politiques* en France sous les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ! Avec, en arrière plan, le rôle actif joué par le SAC, la milice gaulliste engagée alors dans une dérive sanglante. C’est une page noire de notre histoire soigneusement occultée, aujourd’hui encore. En nous faisant visiter les archives sur le SAC, enfin ouvertes, en partant à la rencontre des témoins directs des événements de cette époque – députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore malfrats repentis –, en menant une enquête approfondie et palpitante, Étienne Davodeau et Benoît Collombat nous font pénétrer de plain-pied dans les coulisses sanglantes de ces années troubles et nous convient à un voyage étonnant, instructif et passionnant à travers les heures sombres de la Ve République.

Note 3.0

Alors ? C’était quoi, le SAC ? Les silences et les hésitations de certains de nos interlocuteurs nous en apprennent peut-être autant que leurs réponses. Le SAC, c’était cette zone grise de la Ve République dont on n’aime pas vraiment se souvenir.

♫ Douce France. Cher pays de notre enfance. Bercé de tendres insouciances. ♫
Et, en effet, que nous sommes bercés de tendres insouciances concernant notre chère Ve République qui ne veut pas mourir. Elle dure, elle dure, sans jamais s’arranger, et cela ne date pas d’hier que le pouvoir politique républicain de nos représentants phagocyte le pouvoir de ceux qu’ils sont censés représentés.

Ce que Benoît Collombat et Étienne Davodeau tentent de faire revivre, ce sont les « années de plomb » de cette Ve République, c’est-à-dire les conséquences majeures de la reconstruction du pays après la Deuxième Guerre mondiale, notamment autour du gaullisme et de ses avatars.

Alors que peuvent nous proposer comme livre-objet un auteur de BD habitué aux reportages dessinés (déjà avec Les ignorants, ou bien Rural !) et un grand reporter habitué au journalisme d’investigation, notamment sur France Inter ? Forcément, ils s’associent sur ce qu’ils connaissent le mieux : fouiller les secrets de notre société actuelle et ce roman graphique paru chez Futuropolis nous démontre alors que notre Ve République est bien mal famée, voire pourrie jusqu’à la moelle. Tout cela s’organise en deux enquêtes successives, mais finalement très liées. D’abord, les deux auteurs retracent l’assassinat du juge Renaud, puis s’attaquent à celui de Robert Boulin ; mais, en fait, ils sillonnent la Ve République depuis ses tout débuts jusqu’à, théoriquement, 1982, année où le SAC (Service d’Action Civique), la milice gaullistte a été dissoute après un massacre de trop. Je dis « théoriquement », car finalement, à force de fouiller, de croiser les informations, de confronter les acteurs, il apparaît bien vite que cette enquête concerne des braquages de banque pour financer des campagnes électorales, des exactions du SAC qui sont restées impunies, voire inconnues, ainsi que bon nombre d’assassinats politiques ; or, tout cela peut facilement être remonté jusqu’à certains de nos hommes politiques actuels qui, bien vieux, ont connu cette période ou bien, bien plus jeunes, ont hérité de ce système à l’origine de la réussite gaulliste. Malgré tout, Benoît Collombat et Étienne Davodeau ne tombent jamais dans le piège du complotisme, puisqu’ils mènent leur enquête de façon rationnelle et méthodique. Et c’est bien là que notre effarement devant tant de magouilles sanglantes s’exprime.

Bien sûr, pour l’aspect graphique, nous retrouvons le dessin habituel d’Étienne Davodeau, sobre et débonnaire, mais pas non plus dans sa version la plus précise et détaillée.

Cher pays de notre enfance est donc un roman graphique ironisant sur la quête de vérité de notre Ve République : cherche-t-on toujours à savoir le fond du problème ? Non, malheureusement, et nous en paierons encore le prix, assurément.

Autres critiques : Syl (Thé, lectures et macarons)

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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