Fantasy

Utopiales 2014, Entretien #3 : Sylvie Miller et Philippe Ward

Parmi les nombreux entretiens accordés par les auteurs à l’occasion du festival des Utopiales de Nantes, il ne fallait pas rater cette année celui accordé à Jean-Luc Rivera au Bar de Mme Spock par Sylvie Miller et Philippe Ward, deux Français à l’origine de la série « Lasser, détective des dieux » mettant en scène un monde alternatif où les dieux antiques seraient toujours vénérés et interviendraient même directement dans les affaires des humbles mortels : un duo détonnant qui nous parle avec enthousiasme de leur héros et nous donne envie de découvrir ou de poursuivre les aventures de l’attachant et malchanceux Jean-Philippe Lasser.

Affiche Utopiales 2014

 

Quand et dans quelles circonstances se sont-ils rencontrés ?
Cela s’est passé au début des forums de discussions sur internet. Sylvie Miller y sympathise avec le modérateur, Philippe Ward, et lui avoue avoir quelques idées mais sans oser se lancer dans l’écriture. Il lui propose alors une collaboration qui aboutira à leur première nouvelle « Le mur » puis à un roman « Le chant de Montségur » et à de nombreuses autres collaborations. Écrire à deux n’est pas chose facile, cela nécessite de mettre son ego dans sa poche, mais c’est une formidable expérience.

Comment procèdent-ils pour travailler ?
Ils sont forcés de travailler à distance, ce qui rend absolument nécessaire de respecter une trame très précise, chapitre par chapitre. Ils ont également mis au point une bible des personnages pour éviter les incohérences et les oublis (sept ans se sont écoulés depuis le premier texte sur Lasser…). Toutes ces informations servent d’ailleurs à alimenter le site internet sur l’univers des romans qui recense les recettes de cuisine mentionnées dans le livre et propose des descriptions précises des lieux et personnages de la série.

De quelle manière se fait la répartition de l’écriture ?
Ils se répartissent le premier jet en fonction de leurs affinités. Cela fait quatorze ans qu’ils écrivent ensemble et ils savent donc que lorsqu’il faut détailler tel modèle de voiture, c’est à Sylvie Miller de s’y coller. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une course poursuite ou d’une scène de passage à tabac, c’est Philippe Ward. Ils procèdent ensuite à une succession d’aller et retour et se corrigent l’un l’autre jusqu’à ce qu’au final ils ne soient plus capables l’un comme l’autre de reconnaître qui a écrit quoi. Il y a également beaucoup de relectures de la part des éditions Critic qui les force à modifier certains passages et leur apportent un vrai regard qui leur permet de gagner en profondeur et en qualité.

Lasser[1]

Dans quel univers se déroulent les aventures de Lasser ?
L’univers est né avec la nouvelle « Pas de pitié pour les pachas ». On y découvre une Égypte des années 1930 avec tout ce que cela implique au niveau des évolutions techniques mais avec les limites géographiques et les traditions de l’Antiquité. Il y a un véritable souci de cohérence et de crédibilité qui a poussé les auteurs à procéder à de minutieuses recherches sur les monuments de l’époque en s’appuyant sur des guides touristiques des années 1930, des ressources de la BNF…, mais aussi sur les recettes de cuisine qui sont citées, les usages sociaux, les métiers… Il en va bien sur de même pour les dieux dont les principales caractéristiques (physique, attributs, personnalité) sont respectées. Les deux auteurs s’inspirent également beaucoup des polars noirs ainsi que des dessins animés loufoques à la Tex Avery. Du polar, de l’humour, de la mythologie : voilà ce dont est fait l’univers de Lasser.

Il y a toutefois quelques changements par rapport à l’époque antique ?
La différence majeure est que Jules César n’y a pas conquis la Gaule. Un choix qui s’est avéré nécessaire pour Miller et Ward afin de préserver les traditions celtes et d’éviter que le panthéon gaulois n’ait été absorbé ou mélangé avec celui de Rome. Il est d’ailleurs prévu que Lasser retourne très bientôt dans sa contrée natale, et on sait d’ores et déjà que le prochain tome de ses aventures aura pour cadre l’empire romain.

Qui est véritablement Lasser ?
Le personnage est un hommage à Jean-Philippe Lower, célèbre égyptologue réputé pour son travail sur le site archéologique de Saqqarah. Il est originaire de Gaule et se retrouve très jeune orphelin. Il va se lancer dans une carrière médiocre de détective jusqu’à ce qu’un concours de circonstances le fasse échouer au Caire où il va finir par se retrouver promu détective attitré des dieux.

CVT_Lasser-Detective-des-Dieux-un-Mariage-a-lEgypti_3617[1]

Quant est-il des dieux ?
Les dieux ne continuent d’exister dans cet univers que parce que les hommes croient en eux : plus ils sont adulés, plus ils sont forts. Ils voient les hommes comme des êtres insignifiants et, s’ils sont responsables de beaucoup de dommages collatéraux (notamment la mort des parents de Lasser), se n’est pas par méchanceté ou cruauté mais plutôt parce qu’ils n’accordent aucune importance à la vie humaine. Ils ressemblent aussi par certains côté à des vedettes de cinéma : ils ont le luxe, les belles voitures, ils font la Une de la presse à scandale…, mais d’un autre côté ils ressentent beaucoup d’insécurité. Au début de la série, Lasser déteste complètement les dieux mais il va nuancer sa pensée au fil de ses aventures. L’évolution de sa relation avec eux constitue pour les deux auteurs le fil rouge de la série. On peut notamment prendre l’exemple d’Isis, qui, parce qu’elle est la première à avoir embauchée Lasser, estime avoir un droit de propriété sur lui. Sublime mais colérique et capricieuse, elle va elle aussi évoluer au fil de la série et finir par s’attacher à Lasser qui, d’animal de compagnie favori va se hisser au statut plus prestigieux de soutien, voire d’ami (notamment dans le tome 4 à venir).

Deux autres divinités sont particulièrement marquantes : Seth et Ouabou…
Seth est pour Philippe Ward un mélange du loup de Tex Avery et de coyote. Il est fourbe, bête, cruel, mais on s’attache malgré tout à lui. Dans la mythologie non plus, il n’a pas les moyens de ses ambitions et échoue toujours. Il est souvent l’occasion d’introduire des éléments humoristiques (cf : la scène de son arrivée dans une boite de nuit entouré de danseuses Tahitiennes). Ouabou est quant à lui né dans le cadre d’une anthologie sur le thème du chat. C’est un félin qui parle, plein d’initiatives, toujours prêt à se moquer de Lasser et qui se trouve en réalité être le dieu Nefertoum, le fils de Sekmeth. Il est devenu un personnage récurrent dans les romans et apporte une petite touche de comique supplémentaire.

Qu’en est-il de l’entourage de Lasser ?
Son aide la plus précieuse est le personnage de Fazimel, réceptionniste de l’hôtel où il réside et qui va peu à peu s’imposer comme son assistante. Il y a également Api, l’homme à tête de taureau patron d’une boite de nuit ; Sphinxy, un indic de Lasser ; Amr, un djinn babylonien ; et bien sûr il y a Médée, LA femme fatale par excellence. On retrouve avec tous ces personnages tous les stéréotypes des polars et des dessins animés. Les deux auteurs confient même que certains d’entre eux sont directement inspirés d’amis communs dans le monde de l’édition (Mélanie Fazi, Ugo Bellagamba).

Lasser tome 3

Comment ont été pensées les enquêtes du détective ?
La plupart des enquêtes démarrent de façon assez loufoque car les demandes des dieux sont souvent ou risibles ou totalement disproportionnées (retrouver le sexe d’Osiris, résoudre le mystère de l’Atlantide…). Il y a ensuite tout un travail d’énigmes policières avec les habituelles fausses pistes, retournements de situations… Cela implique beaucoup de travail sur la structure des livres dont la forme varie d’un tome à l’autre : dans le premier il s’agit de plusieurs enquêtes à la suite tandis que le second est d’un seul tenant, le troisième s’apparente à une aventure d’Indiana Jones, et dans le quatrième à paraître ce sera au tour de Fazimel d’être mise en avant puisqu’elle sera séparée de son compère et qu’une partie du livre sera donc centrée sur son personnage.

Où et quand pourront découvrir de nouvelles aventures de Lasser ?
Une nouvelle mettant en scène le détective vient de paraître dans l’anthologie édité par ActuSF à l’occasion du festival des Utopiales (« Le Sage qui entre dans la paix »). Les auteurs y développent le rapport des dieux à la science. On comprend qu’ils profitent énormément de ses bienfaits mais qu’elle leur fait malgré tout peur car elle pourrait permettre à l’homme de surpasser les dieux (on a d’ailleurs pu voir dans le tome 3 que la civilisation atlante, parce qu’elle était particulièrement avancée d’un point de vue technique, c’était débarrassée de ses divinités). Le quatrième tome des aventures du détective devrait quant à lui paraître en mai 2015. Patience donc…

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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