Récit contemporain

La 25e Heure du Livre, Entretien #1 : Alain Mabanckou

25e Heure du Livre du Mans 2014

 

Cette année, à l’occasion de la 25e Heure du livre, la ville du Mans a eu l’honneur de recevoir l’écrivain franco-congolais Alain Mabanckou qui s’est confié à ses lecteurs dans un entretien donné dans le nouveau théâtre du centre ville et animé par Bernard Magnier. Une conférence passionnante lors de laquelle les visiteurs du salon n’ayant pas encore eu l’occasion de rencontrer l’auteur (comme c’était mon cas) ont eu le plaisir de découvrir un écrivain sympathique et plein d’enthousiasme qui, c’est certain, aura donné à tous les auditeurs envie de lire ses livres.

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Quel a été le déclic qui vous a amené à l’écriture ?
Alain Mabanckou explique s’être beaucoup questionné à l’adolescence. Il vivait alors à Pointe-Noire, au Congo, et contrairement à l’idée que l’on pourrait se faire de la grande famille africaine, il était en fait fils unique. Il a donc dans un premier temps écrit de la poésie afin de tromper cette solitude. Il voyait alors les écrivains comme des morts illustres et non des hommes de chair et de sang qui se mêleraient aux autres naturellement. A son arrivée en France, il envoie ses manuscrits à plusieurs maisons d’édition mais toutes lui opposent un refus. Il raconte avec humour qu’un jeune auteur qui envoie ses textes croit toujours que le monde l’attend mais méconnaît totalement les rouages du monde de l’édition. L’auteur relate ensuite une anecdote concernant une réponse qu’il aurait reçu des éditions Stock lui expliquant qu’ils ont lu son manuscrit avec intérêt mais qu’ils ont un programme chargé, bla-bla-bla… L’auteur se dit alors qu’il est jeune et qu’il peut bien attendre quelques années. Il se rend donc chez Stock afin de leur dire qu’il est d’accord pour attendre un an ou deux avant d’être publié. On lui expliquera gentiment qu’il ne s’agissait que de formules de politesse visant à ménager l’ego des jeunes auteurs. Malgré tout, l’auteur ne baisse pas les bras et sa détermination se révélera payante.

Revenons à présent sur les romans les plus marquants de votre carrière, à commencer par votre tout premier roman à succès : « Bleu, blanc, rouge » (1998).
C’est un roman qui met en garde contre les mirages de la vie française pour les Africains. Le roman se passe à Paris et le personnage vient du Congo, tout comme l’auteur. Il y a, à l’époque, beaucoup de romans de ce type sur la question de l’immigration et de l’Afrique et ses expatriés. Un thème qu’il rependra souvent dans ses romans, de même que toute une génération d’écrivains dans le but de tenter de tracer les contours du continent africain à Paris.

Bleu blanc rouge

Qu’en est-il d’ « American psycho », un livre de genre, cette fois (2003) ?
Ce livre, il l’a écrit aux États-Unis où il vit aujourd’hui et exerce le métier de professeur. Il explique avoir été marqué par « American psycho » et de façon pus générale par la littérature américaine à suspens. Le roman raconte l’histoire d’un homme qui veut être séreal killer mais qui rate tout ce qu’il entreprend. Il y a beaucoup d’ironie dans les aventures de ce perdant éternel. Un humour et une dérision que l’on retrouve d’ailleurs dans beaucoup d’autres ouvrages de l’auteur.

Vous vous ré- immergez dans l’Afrique avec « Verre cassé » (2005) et « Mémoire de porc-épic » (2006), pourquoi ?
Ces deux romans sont nés suite à un voyage en Afrique après lequel il a ressenti une certaine nostalgie. Le roman « Verre cassé » est né alors qu’il se trouvait chez lui au Michigan, complètement isolé en raison de la neige qui l’empêchait même de se rendre à la faculté. Pour tromper l’ennui, il imagine les auteurs de sa bibliothèque discutant ensemble. On dénombre ainsi plus de 300 références littéraires apparaissant dans ce roman qui sera publié par Le Seuil, ce qui permettra à l’auteur de toucher un plus large public. L’ouvrage « Mémoire de porc-épic » (récompensé en 2006 par le prix Renaudot) est quant à lui un témoignage de son amour pour la fable et les fabulistes tels que La Fontaine ou Ésope qu’il admire beaucoup. Il y a également une part d’Afrique dans ce livre, puisque l’animal est celui dont sa mère le menaçait si jamais il n’allait pas se coucher. Le porc-épic du roman est toutefois un peu particulier puisqu’il fait de la philosophie, lit la Bible (notamment le passage sur l’arche de Noé)… Là aussi il y a beaucoup de références aux livres, et notamment à ceux mettant en scène des animaux : « Le vieil homme et la mer » d’Ernest Hemingway ; « Le vieux qui lisait des romans d’amour » de Luis Sepulveda ; « Le chat noir et autres nouvelles » d’Edgard Allan Poe…

Mémoires de porc épic

Vous vous lancez ensuite dans l’auto-fiction avec « Lumières de Pointe-noire ».
Alain Mabanckou explique n’avoir pas eu l’occasion de lire jusque là une véritable photographie d’une famille africaine d’aujourd’hui. Il y a également de sa part une volonté de surprendre, de ne pas se cantonner à un genre spécifique. Il s’agit d’un récit très intime ponctué de quelques photos de son enfance On y découvre une famille plutôt modeste et on apprend que l’auteur n’a appris à parler français qu’à l’âge de six ans… D’ailleurs, il apprend le français avec les mots des livres, c’est-à-dire un langage plutôt soutenu, et lorsqu’il arrive en France, il est choqué d’entendre tout le monde parler un français auquel il n’est pas habitué. Pour lui, et pour beaucoup d’Africains, la maîtrise de la langue française représente un véritable passeport. Il relate ensuite une anecdote concernant son père qui avait l’habitude, lorsqu’il était enfant, de souligner dans le journal les mots les plus compliqués pour ensuite les ressortir le lendemain aux clients de l’hôtel où il travaillait. Mais encore fallait-il pouvoir les recaser ! Il se rappelle que lui et sa mère ont beaucoup souffert lorsque son père a appris l’expression « en l’occurrence » qu’il utilisait à toutes les sauces : « en l’occurrence passe moi le sel… », « en l’occurrence tu comprendras plus tard »…

Quant est-il de « Lettre à Jimmy », essai publié en 2007 ?
Alain Mabanckou explique que James Baldwin est l’auteur qui l’a aidé à apprendre l’anglais quand il est arrivé aux États-Unis. Il a ensuite eu l’idée d’écrire un récit sous forme de lettre adressée à cet auteur. Son essai a d’ailleurs été traduit en américain et a été plutôt apprécié des critiques car il proposait d’observer le regard d’un écrivain sur un autre.

Votre livre le plus controversé est sans doute « Le sanglot de l’homme noir », pourquoi l’avoir écrit ?
Il s’agit d’un livre qui dénonce des vérités que certains ne veulent pas entendre, notamment la question de l’esclavage des noirs par les noirs. C’est un texte qui lui a permis de comprendre certaines réalités du monde noir en Europe et qu’il ne regrette absolument pas d’avoir écrit, malgré les critiques de ses nombreux détracteurs.

Le sanglot de l'homme noir

Dans tous vos livres on retrouve à chaque fois beaucoup d’humour ainsi qu’une volonté d’installer une complicité avec le lecteur. Est-ce quelque chose de voulu ?
Pour l’auteur, la complicité avec le lecteur vient en partie des nombreuses références qui parsèment ses romans. Il insiste sur l’importance pour l’écrivain de lire, de ne pas s’exonérer de sa taxe envers la littérature. C’est pourquoi il rend beaucoup d’hommages aux livres et aux écrivains dans ses propres récits. Dany Laférière, Douglas Kennedy, Le Clézio… sont autant d’auteurs qui l’ont marqué et qu’on retrouvera dans son prochain livre « Le monde est mon langage » (à paraître en septembre 2015).

Comment parvient-il à concilier son statut d’enseignant et son statut d’écrivain ?
Contrairement à beaucoup d’autres, lui est un écrivain qui est devenu enseignant et non l’inverse ce qui fait qu’il ne se pose pas vraiment la question. Il n’a pas fait d’études universitaires ni d’études des grandes théories littéraires mais études de droit.

Lumières de Pointe Noire

Quand se croit-on écrivain ?
C’est un statut qui ne doit jamais être pris comme figé. Un doute doit toujours subsister. Il prend l’exemple de l’association des écrivains congolais dont les membres sont choisis par le gouvernement qui décide qui est écrivain et qui ne l’est pas. Or pour lui, seuls les lecteurs, les autres auteurs, peuvent accorder ce statut d’écrivain, ce qui invite à rester humble

Le travail d’écriture se fait-il plus facile au fur et à mesure, et est-ce toujours le même plaisir pour vous ?
C’est toujours un plaisir, oui, même si la peur de ne pas finir, de ne pas réussir et de se décevoir soi-même est toujours là. Il retarde toujours le jour d’envoyer son manuscrit chez l’éditeur. Plus on publie, plus il faut faire attention de ne pas être publié uniquement pour faire du chiffre et non pour la qualité du manuscrit. La peur d’être rejeté, de retourner à l’errance de maison d’édition en maison d’édition est toujours là. D’où l’importance de prendre son temps et de ne publier que si on est sûr.

PARIS : Alain Mabanckou

Une conférence très instructive qui m’aura permis de faire la connaissance de ce grand auteur que l’on écouterait pendant des heures avec un égal plaisir. Une belle rencontre !

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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