Fantasy

Etonnants Voyageurs 2014, Conférence #2 : Le retour des barbares ?

Etonnants voyageurs 2014

A l’occasion du festival des Étonnants Voyageurs ayant lieu tous les ans à la Pentecôte, le théâtre Chateaubriand de la ville de Saint Malo a accueilli tout au long du weekend de nombreuses conférences et projections consacrées aux littératures de l’Imaginaire. Après deux documentaires respectivement consacrés à J. R. R. Tolkien et aux showrunners de « Game of thrones », Jean-Luc Rivera, passionné de SFFF et jury du Grand Prix de l’Imaginaire, a ainsi animé une conférence intitulée « Le retour des barbares ». Y étaient invités quatre auteurs : Andrus Kivirähk, écrivain estonien récompensé cette année par le Grand Prix de l’Imaginaire pour son roman « L’homme qui savait la langue des serpents » ; Raphaël Jerusalmy, ancien membre des services de renseignements militaires israéliens et auteur de plusieurs romans dont dernièrement « La confrérie des chasseurs de livres ; Viviane Moore, auteure de romans policiers historiques ; et enfin Régis Goddyn, auteur de la série « Le sang des 7 rois » dont les quatre premiers tomes ont rencontré un large public parmi les lecteurs de fantasy. Un casting varié et de qualité qui n’aura cela dit guère été enthousiasmé par le sujet, à l’exception de Régis Goddyn et Raphaël Jerusalmy qui auront fait preuve de bien meilleure volonté que les deux autres. Il faut dire que, malgré les tentatives de Jean-Luc Rivera de faire le lien entre ce retour des barbares et les romans de chacun des auteurs, aucun d’entre eux ne s’était véritablement penché sur la question dans leurs ouvrages…

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Une question générale pour commencer : tout au long de notre histoire, chaque Homme a toujours été considéré comme le barbare d’un autre (les non hellènes pour les Grecs, les non citoyens pour les Romains…). Quelle définition pourrait-on donner du barbare aujourd’hui ?

Viviane Moore explique que son dernier roman se passe à Paris pendant les guerres de religion, période particulièrement troublée pour le royaume de France et où « l’autre » est celui qui ne partage pas les mêmes croyances (les protestants pour les catholiques et inversement). Pour le personnage principal du roman, un médecin alchimiste, le terme de « barbare » s’applique également à tous ceux qui ne possèdent pas sa culture. Le roman de l’auteur estonien Andrus Kivirähk met pour sa part en scène la rencontre entre les chevaliers teutoniques venus évangéliser les populations d’Europe de l’Est, et les indigènes aux croyances primitives. Pour lui, le barbare n’existe pas, c’est avant tout quelque chose que l’on se représente et le critère majeur est lié à la non maitrise de la langue. Le traducteur de l’auteur explique à ce propos que les Estoniens ont un rapport très important avec leur langue car il s’agit de l’un des rares peuples de l’Est a avoir gardé ses spécificités linguistiques. Pour Raphaël Jerusalmy, le mot « barbare » est un terme fourre-tout, ce qui est un avantage pour n’importe quel auteur car cela permet de créer une toile de fond idéale pour faire ressortir un personnage ou une action héroïque. Pour illustrer son propos, l’auteur prend l’exemple du « Nom de la rose » où le héros d’Umberto Eco va briller d’autant plus qu’il évolue au milieu de la noirceur, de la barbarie du monastère. Intégrer un barbare dans une histoire permet donc de créer un contraste intéressant. Régis Goddyn insiste en ce qui le concerne sur l’importance de distinguer le terme de « barbarie », c’est-à-dire la cruauté, de celui de « barbare », notion à propos de laquelle tout est une question de positionnement. Ce qui le frappe aujourd’hui c’est justement la disparition progressive de ce « barbare », autrement dit de l’étranger (qui, malgré les aléas de l’actualité, ne se sent pas aujourd’hui proche des Russes, des Allemands, des Grecs… ?). C’est pour lui la première fois dans toute notre histoire que l’on est aussi proche des autres et la raison est à chercher du côté de la multiplication et de la diversification des moyens de communication : « le monde est devenu un village numérique ».

L'homme qui savait la langue des serpents

Dans chacun des quatre romans, on trouve en toile de fond la religion. Est-ce le fanatisme et l’intolérance qui créés de nouveaux barbares ?

Pour Raphaël Jerusalmy, ceux les plus enclins à accoler à d’autres l’étiquette de « barbare » sont souvent eux-mêmes les barbares. L’homme de foi créé le barbare en se permettant de rabaisser, de punir, voire de détruire, ceux qui ne partagent pas leurs croyances, devenant à leur tour barbare : « le barbare n’est jamais celui qu’on croit ». Un paradoxe auquel va se retrouver confronté son protagoniste, François Villon, pour qui la lutte contre la barbarie passe essentiellement par la lutte contre la manipulation des esprits. Une manipulation qui se fait au Moyen Age au moyen de la religion mais qui se poursuit aujourd’hui par différents biais (les jeux vidéo, les médias…). Le roman de Viviane Moore accorde quant à lui une place importante aux massacres de la Saint Barthélémy, pour l’auteur une preuve indéniable que la religion peut être créatrice de barbarie. Elle rappelle toutefois que beaucoup se sont servis de cette nuit sanglante pour, sous couvert de religion, régler de vieux comptes qui n’avaient finalement rien à voir avec de quelconques croyances. Pour Andrus Kivirähk, la religion fabrique des barbares. Dans son livre on trouve l’opposition aussi bien entre chrétiens et païens qu’entre nouveaux convertis, fascinés par la modernité apportée par l’église, et ceux qui désirent conserver leurs propres croyances. Bien que son roman se déroule dans un univers imaginaire, on retrouve dans « Le sang des 7 rois » de Régis Goddyn un système un peu similaire à celui de l’église. Sont notamment présents des inquisiteurs chargés de repérer et détruire toute personne possédant du sang bleu et bénéficiant de fait de toutes sortes de capacités surnaturelles, afin d’éviter le retour parmi la population de personnes dotés de pouvoirs incontrôlables et donc dangereux pour la stabilité du royaume. On a affaire ici à une barbarie qui s’auto-légitime, et à la cruauté des théocrates va répondre une toute autre sorte de cruauté. Pour l’auteur, il faut bien distinguer les différents motifs qui poussent les gens à la barbarie : cela peut être au nom d’une idée (l’église) ; parce que c’est notre métier (soldat) ; ou encore en dépit de toute logique (psychopathe). Ce qui définit le mieux la barbarie selon lui est cette dernière catégorie car il n’y a alors aucun sens : la personne n’agit pas pas pour sauver sa peau ou faire du prosélytisme mais uniquement pour nuire.

 Sang des 7 rois 1

Qu’en est-il du lien entre barbare et culture ? N’y a t-il pas une certaine fascination de celui-ci à l’égard, par exemple, de la connaissance livresque.

Le personnage principal d’Andrus Kivirähk est effectivement très intéressé par cet autre monde et par cette nouvelle culture qui fait son apparition en même temps que les chevaliers teutoniques. Viviane Moore met elle aussi en scène un personnage de ce type, la fille de son protagoniste, qui va se retrouver cloîtrée et décide alors de se tourner vers la connaissance jusqu’à avoir une excellente vision de ce monde qu’elle ne peut pourtant plus côtoyer. Raphaël Jérusalmy met quant à lui en scène des personnages dont le rôle est justement de récolter le savoir. Régis Goddyn insiste pour sa part sur la place centrale qu’occupent dans son livre les questions de culture, de mémoire et de relation au passé. Il rappelle que « Le sang des 7 rois » est avant tout l’histoire d’une culture perdue.

 La confrérie des chasseurs de livres

Pour finir, l’écriture de romans permet-elle d’exorciser la barbarie que chacun porte en soi ou bien de prévenir la réapparition de celle-ci ?

Pour Andrus Kivirähk le barbare n’existe pas : on est toujours le barbare d’un autre. Les comportements et les mœurs évoluent et certaines habitudes que nous avons aujourd’hui passeraient pour de la barbarie aux yeux de nos ancêtres et vice versa. Tout est donc relatif. Avec « L’homme qui savait la langue des serpents » le but n’est pas tant de prévenir la barbarie que d’avertir des dangers qui menacent certaines civilisations, certaines cultures en voie de disparition. Viviane Moore estime pour sa part qu’écrire, c’est avant tout tenter de garder la mémoire de ce qui s’est passé, tandis que Raphaël Jerusalmy affirme ne pas avoir de telles prétentions et que ses romans visent avant tout à parler de la grande histoire via la petite. Régis Goddyn conclut ce débat en rappelant que, lorsque l’on travaille dans les littératures de l’imaginaire, il faut savoir prendre du recul. Il n’est pas question pour lui de créer un ouvrage didactique ou moralisateur mais de proposer une analyse partiale et partielle d’une situation. Le meilleur moyen pour les auteurs de contribuer, très modestement, à la lutte contre la barbarie consiste à engager le dialogue avec les lecteurs et à poursuivre la réflexion ensemble.

La femme sans tête

Un débat peu animé qui aurait peut-être mérité d’être abordé de façon différente mais qui aura cela dit permis de mieux découvrir les univers d’auteurs tels que Régis Goddyn ou encore Raphaël Jerusalmy, tous deux très intéressants.

Antiquiste passionnée d’art, de cinéma, de voyage et surtout grande lectrice des littératures de l’imaginaire (fantasy essentiellement).

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