Fiction historique

Murena, Intégrale I : Le cycle de la Mère

Murena Intégrale I

Titre : Le cycle de la Mère
Série : Murena, Intégrale I (tomes 1 à 4)
Scénariste : Jean Dufaux
Dessinateur : Philippe Delaby
Éditeur : Dargaud
Date de publication : 2005

Synopsis : Proposés en une magnifique intégrale, voici rassemblés les quatre superbes albums restituant dans toute sa violence le règne de l’empereur Néron. Un captivant et somptueux péplum mettant en scène des acteurs dévorés par la passion du pouvoir et accumulant trahisons et crimes…

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Néron a 17 ans. Le meurtre commis par sa mère vient de le placer à la tête de la plus grande puissance au monde. Il lui avait été dit : « Mesure ton ambition à celle des divinités. Toi aussi, tu seras un dieu… si tu le désires vraiment ». Ce désir, quelqu’un d’autre l’aura voulu pour lui.

Murena, un premier cycle sur la Rome impériale qui s’érige en monument de la bande dessinée.

Le premier cycle de la saga Murena, ou Cycle de la Mère, se penche sur l’arrivée au pouvoir de Néron, à la tête du principat romain, et des intrigues qui essaiment dans la Rome impériale au premier rang desquelles se distinguent la propre mère de Néron, Agrippine. Cette première (magnifique) intégrale réunit alors les quatre premiers tomes de la saga – La Pourpre et l’Or, de Sable et de Sang, La Meilleure des Mères et Ceux qui vont mourir… – et court chronologiquement du milieu de l’année 54 de notre ère à l’année 59, celle de la mort d’Agrippine qui scelle ce Cycle de la Mère (plus précisément encore, ces premières années du règne néronien sont aussi connues comme le « quinquennium Neronis » pour la bonne tenue de l’administration impériale).

Du point de vue du scénario, le travail du belge Jean Dufaux rythme admirablement ces quatre premiers tomes. En effet, à partir d’une trame événementielle très dense, il réussit à nous emmener des bas-fonds aux plus hauts sommets politiques de Rome pour nous livrer une Rome impériale à l’état pur, brut même plutôt. Les arcanes du pouvoir comme les couloirs du palais impérial, les maisons de passe comme les « ludus », les rues mal famées comme les orgies très huppées, la chaleur de l’amphithéâtre comme quelques plongées dans la Tibre, rien ne nous est épargné, et ce pour notre plus grand plaisir. En se focalisant sur la psychologie des personnages et les relations entre eux, au détriment d’une action qui aurait pu être plus horrifiante, Jean Dufaux suit une certaine mode scénaristique visant à aider le lecteur à s’identifier aux personnages principaux. Ici donc, l’attention est surtout portée sur la relation mère-fils entre Agrippine et Néron, mais les personnages secondaires nouent leur histoire et leur destin aux agissements des deux principaux ; Acté et Murena par exemple sont des personnalités en constant développement. En plus de cela et malgré l’attention portée à la psychologie, Jean Dufaux nous gratifie quand même de coups de théâtre publics et de règlements de compte en sous-main, dans un monde où les intermédiaires sont facilement supprimables, où les tensions se resserrent et où la place est suffisamment présente pour introduire des personnages riches et divers dans leur comportement comme dans leur personnalité. Pour l’auteur, il lui suffit de juste de placer au plus juste ces enchaînements, avec des dialogues eux aussi plutôt justes dans le ton, pour faire raisonnablement monter la pression tout au long de ce premier cycle.

Par ses mots, on ressent donc vraiment la chaleur des combats, on palpe le sable sous les pieds des combattants et on hume l’odeur du sang qui se répand, toujours plus tenace, dans les interstices de cet Empire à l’éclat pourtant flamboyant, dont la destinée se jour tant dans les relations personnelles du dirigeant que dans les combats de gladiateurs.

Si on se penche plus précisément sur le dessin, là aussi du très lourd et surtout du très beau : Philippe Delaby, un autre belge, utilise toutes ses armes pour rendre l’atmosphère si particulière de la Rome antique. En effet, ce dessinateur, durant les quatre tomes de ce premier cycle, s’attache à coller parfaitement au style d’une Rome antique, pleine de vie et ensoleillée comme la Ville méditerranéenne par excellence qu’elle incarne. Dignes d’une mosaïque de Pompéi, les caractéristiques graphiques utilisées font clairement office de personnages à part entière. Tout d’abord, le lettrage lui-même, avec un ombrage lui aussi très caractéristique, nous intègre directement dans une époque bien précise, car en les voyant on repense facilement aux épigraphies latines et aux graffitis romains. de plus, certains choix graphiques comme le jeu de transition des couleurs sont très agréables : l’alternance, surtout dans le Livre II, entre des couleurs vives et du presque « noir et blanc » magnifie le contraste entre les journées ensoleillées typiquement méditerranéennes et les nuits éclairées uniquement par la Lune où le danger guette. Enfin, par contre, certaines variations graphiques sont trop visibles et peuvent désarçonnés, et cela concerne avant tout les personnages. Certains d’entre eux font clairement les frais d’un graphisme parfois laxiste, Lucius Murena notamment, alors qu’il donne son nom à la série. Ainsi, certains personnages frôlent parfois la correctionnelle et on découvre même que la chirurgie esthétique existait déjà à l’époque néronienne, car l’exemple le plus flagrant est sans aucun doute celui d’Acté, qui passe d’une beauté androgyne très bien mise en valeur dans la clarté des nuits du Tibre à une matrone romaine plantureuse plus classique vis-à-vis du modèle incarné par Agrippine. Est-ce une transformation consciente ? Peut-être bien, vu le charme de ce personnage.

Dans une bande dessinée, et d’autant plus sur une période flamboyante de la Rome antique, le dessin doit remplir un rôle à part entière et Philippe Delaby nous offre des planches dignes de cette attente.

Entre réalisme désiré et documentation attentionnée, les auteurs imposent donc leurs choix grâce à des qualités graphiques et des choix scénaristiques indéniables ; leur collaboration mêle ainsi astucieusement une reconstitution minutieuse des bâtiments de Rome à l’époque néronienne, un contexte fin sans faire se chevaucher des événements trop anachroniques, des intrigues captivantes avec un léger parti pris en faveur de certaines recherches plus ou moins récentes, le tout montrant le travail, que l’on peut qualifier d’historien, à l’origine de cette œuvre de bande dessinée. le meilleur exemple pour illustrer ce constat est le soin apporté aux « notes explicatives ». Elles témoignent inévitablement de la recherche active d’informations historiques sur la période concernée, mais, en contrepartie, gênent considérablement la lecture (si on tient à la lire évidemment), qui devrait être fluide et directe : la très bonne intention est là, mais des petites notes de bas de page auraient sûrement été plus agréables.

Pour finir, notons, avec un plaisir décuplé non dissimulé, combien cette œuvre dépasse le cadre d’une simple bande dessinée. Il convient de la replacer dans son contexte médiatique, tel un fer de lance du renouveau et du regain d’intérêt pour la Rome antique dans les médias actuels. En effet, comment lire Murena sans penser aux productions télévisuelles récentes que sont Rome et Spartacus, entre lesquelles Murena n’a pas à rougir ! Il est possible, voire obligé, de faire la filiation entre eux.

En conclusion, Murena avec ce premier cycle, celui de la Mère, fait véritablement figure de tête de file de la bande dessinée franco-belge en matière de reconstitution historique. Avec et après elle, la Rome antique prend un nouvel essor au sein de la bande dessinée, auquel Les Aigles de Rome ou même Cassio tente de participer avec le même esprit de précision dans la trame historique et d’originalité dans l’aventure. Murena marque donc le retour flamboyant du péplum bourré d’actions qui nous donne minutieusement à voir et à comprendre un univers fait de paysages magnifiques, de lieux symboliques et d’actions politiques d’envergure.

Voir aussi : Intégrale II ; Tome 5 ; Tome 6 ; Tome 7 ; Tome 8 ; Tome 9

Kaamelotien de souche et apprenti médiéviste, tentant de naviguer entre bandes dessinées, essais historiques, littératures de l’imaginaire et quelques incursions vers de la littérature plus contemporaine. Membre fondateur du Bibliocosme.

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